Après Anselm Kiefer et Richard Serra, c’est au tour de Christian Boltanski d’investir le Grand Palais pour l’exposition Monumenta. Petit rappel du principe : il s’agit d’utiliser le volume de la grande nef pour une installation monumentale. Si les immenses plaques d’acier de Richard Serra étaient avant tout un dialogue avec l’architecture du lieu, « Personnes », de Boltanski, impose avec force son questionnement, au point de vouloir en étouffer le spectateur.
Dès l’entrée, on est accueilli par un mur de casiers rouillés, à l’allure martiale. Si leurs numéros ne renseignent pas sur leur fonction, ils laissent à supposer leur usage par des Personnes. Sauf qu’il n’y a rien de plus impersonnel qu’un numéro. L’individu devient Personne. C’est ici qu’apparaît la dualité du mot choisi par Boltanski pour intituler son expo.
Une fois ce mur contourné, La grande nef offre son espace. Celui-ci est structuré par des piliers en acier rouillés, formant un nombre incalculable de rectangles, soutenant des néons et délimitant au sol des surfaces de vêtements. Ici, et contrairement à ce qui est souvent pratiqué, le vêtement ne sert pas de singularisation de l’individu. Au contraire, posé à plat parmi tant d’autre, il gît comme une dépouille, totalement impersonnelle et anonyme. Et le gigantisme de cette installation ne laisse planer que peu de doutes. Il y a bien une utilisation « industrielle » de cette dépouille et, surtout, du corps qui l’occupait auparavant.
Une sensation renforcée par le bruit d’une mécanique qui semble implacable, résonnant dans toute la grande nef du Grand Palais. En fait, à l’approche de chacun des haut-parleurs qui diffuse ce son, on se rend compte qu’il s’agit d’un battement de cœur enregistré. Là encore, la masse et la dilution qu’elle induit fait perdre l’identité de chacun d’eux.
Et puis il y a cette grue immense, qui prend et lâche du tissu d’un gigantesque tas, en un manège absurde. De quoi mieux rappeler l’absurdité de ce que Personnes pose en métaphore ? Nous l’aurons deviné (ou plutôt ressenti), cette installation rappelle les camps de concentration. On peut certes trouver la problématique rabâchée mais aucun artiste n’avait jusque-là poussé aussi loin cette sensation de l’étouffement. Et cet espace immense, qui semble à priori impertinent, n’en fait que rajouter à cette ambiance, relent d’une époque ou tout lieu public pouvait servir à une rafle. Plus qu’en regarder quelques photos, il faut réellement ressentir Personnes pour en comprendre toute la force. C’est ce gigantisme et cette force qui font de chaque édition de Monumenta une exposition différente des autres.
Monumenta, jusqu’au 21 février 2010
Lisez aussi notre article sur Monumenta 2012, par Daniel Buren
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6 Comments
mélanie
17 mai 2012 at 0:50Boltanski n’a jamais clairement expliqué cette oeuvre par une dénonciation des camps de concentration (d’extermination plutôt)… Tu évoques l’absurde? bien joué, parce que c’est bien de ça qu’il s’agit : l’absurdité de la vie face au hasard de la faucheuse, rafles et camps d’extermination inclus !
Ce sont des boîtes de biscuits… Boltanski joue toujours sur la mémoire et les souvenirs, ainsi que l’identité. Quant au chocolat, Milka, je ne sais pas si Christian Boltanski en a goûté quand il était petit ou s’il a rencontré la marmotte, peut-être qu’en ce cas ces boîtes auraient pu être violettes et blanches !
Margot desveaux
17 février 2012 at 14:36Moi je trouve que c’est styler, je vais essayer de le refaire en dessin, souhaiter moi bonne chance.
Nicolas Meunier
26 février 2010 at 19:02Et la marmotte… Ah oui ! En fait, ce sont des boîtes de chocolat Milka ?!?
Agnès
25 février 2010 at 3:08Nicolas, ce ne sont pas des casiers rouillés mais des boites de biscuits que l’artiste a racheté à l’usine qui les fabriquait quand il était petit car vois-tu, sa grand-mère en avait chez elle…nostalgique le Boltanski??????
lilith
4 février 2010 at 22:24Alors, ça y est, je l’ai vue. Et je suis plutôt d’accord avec l’article. Tout passe par le ressentie. D’ailleurs, cet article est assez proche de ce que j’ai écris en sortant de la nef, et qui sera posté sur mon mini-blog, demain midi…
Excellente analyse Mr Nicolas ! ;)
lilith
29 janvier 2010 at 21:51Je n’ai pas lu l’article, car je compte bien y aller la semaine prochaine! Dès que ce sera fait, je viendrais réagir! :)