Après avoir réalisé quatre épisodes de la série Mercredi sur Netflix, Tim Burton a décidé de revenir au cinéma en ressuscitant le projet de suite d’un film qui a fait connaître au grand public son goût pour l’humour macabre. Beetlejuice (1988), comédie fantastique dans laquelle deux fantômes veulent se débarrasser des nouveaux propriétaires de leur maison avec l’aide d’un bio-exorciste autoproclamé, subvertit la représentation négative de la mort en mettant en scène un outre-monde haut en couleurs. Il s’agit surtout d’une bureaucratie absurde, dont les employés sont en fait des personnes suicidées. La nature morbide de cet univers est contrebalancée par un recours à l’humour burlesque, alliant des personnages caricaturaux à des situations extravagantes. Sous le rythme d’une symphonie carnavalesque composée par Danny Elfman, le second long-métrage de Tim Burton agit comme une ingénieuse boîte à malices, dévoilant de nombreux trucages (volontairement) désuets et drolatiques. Trente-six ans après ce succès-surprise, Beetlejuice Beetlejuice s’inscrit dans une lignée récente de suites tardives émergeant d’Hollywood, telles que S.O.S. Fantômes, L’Héritage (2021) ou Top Gun Maverick (2022). De ce fait, il nous est promis le retour de certains personnages issus du premier film ainsi que des effets « en dur », utilisés comme de puissants atouts publicitaires. Cependant, le projet présente le risque d’être trop daté en raison de sa gestation fastidieuse depuis 1990. Qu’en est-il au final de ce retour aux sources pour Tim Burton ?
Dans ce second opus, Lydia Deetz (Winona Ryder), autrefois une adolescente gothique, est devenue l’animatrice d’un talk-show dédié au paranormal. Suite à un événement tragique, elle doit retourner dans le village de Winter River avec sa famille. Une fois sur place, elle tente de faire la paix avec sa fille Astrid (Jenna Ortega), qui ne croit pas aux fantômes. Malheureusement, de vieux démons resurgissent d’entre les morts, et en particulier le crapuleux Beetlejuice (Michael Keaton) qui est poursuivi dans l’Au-delà par une ex-femme vengeresse (Monica Bellucci). À partir de cette base narrative, le long-métrage fait s’entrelacer le passé et le présent, le monde des vivants et l’antre des morts et, dans un versant plus technique, les trucages et les effets spéciaux par ordinateur. Ce va-et-vient se matérialise au montage : par exemple, les transitions entre les différents univers sont fluides (les racines d’un arbre laissent place aux branchements du système de l’Au-delà) avant de devenir plus abruptes, comme pour figurer l’énergie chaotique qui s’opère dans les deux mondes. Le nouveau film de Tim Burton se caractérise par une structure spécifique. Si Beetlejuice premier du nom prenait le soin de présenter l’au-delà et ses règles absurdes par l’intermédiaire d’un couple fraîchement décédé, Beetlejuice Beetlejuice lâche le spectateur dans une accumulation d’évènements rocambolesques tous azimuts. Telle une partie de cadavre exquis (un jeu collectif inventé par les surréalistes et consistant à composer des phrases à partir de mots proposés à tour de rôle sans savoir ce qu’a écrit le joueur précédent), les intrigues disparates trouvent leur résolution en un lieu commun à la fin du film. Malgré le rythme déséquilibré qui en découle, ce patchwork de péripéties donne libre cours à quelques moments de bravoure inspirés, parmi lesquels un groupe d’influenceurs se faisant aspirer par l’écran de leurs smartphones et un flash-back sous la forme d’un hommage rendu au Masque du démon (1960) de Mario Bava. Tout comme le premier film, le réalisateur juxtapose plusieurs idées créatives qui servent de vecteur d’expression culturelle, allant de décors déformés inspirés de l’expressionnisme allemand à des couleurs saturées issues du cinéma d’horreur italien des années 1970. En revanche, il semble aborder la suite avec un esprit particulièrement décomplexé, alignant l’humour noir, l’animation en stop motion, la musique soul, les effets de cartoon, les créations plastiques et numériques, comme pour former un grand bazar bigarré.
Le point de convergence de tous ces éléments hétérogènes se trouve peut-être dans l’évolution troublante de Lydia. En effet, nous la retrouvons en célébrité du surnaturel, exploitant son don de spiritisme en public et gérant avec difficulté ses visions morbides dans sa vie privée. En conflit avec une fille à la pensée rationnelle, elle se sent véritablement égarée. Dans le numéro 35 de L’Écran Fantastique Reboot, Tim Burton évoque un aspect du film qui lui est cher :
« […] De tous les protagonistes de Beetlejuice, c’est Lydia dont je me sens le plus proche. Pendant toutes ces années, j’avais l’impression qu’elle était mon double, et je me demandais parfois “Qu’est-ce qui lui est arrivé ?” en songeant à ce que j’avais vécu… »
Le parallèle entre le parcours du personnage vieilli de Lydia et celui du cinéaste est bien assumé par ce dernier. Tim Burton traite de la dépersonnalisation et du poids du passé à travers Lydia, interprétée de manière touchante par Winona Ryder. L’enfant attirée par le monde des morts est à présent une mère hantée par de vieux souvenirs au point de devenir en quelque sorte un fantôme dans sa propre vie. Si Beetlejuice est aux prises avec une femme (réellement) fatale, Lydia a son propre dévoreur d’âmes, à savoir un agent artistique aux dents longues (Justin Theroux) qui se cache derrière une attitude attentionnée. C’est pourquoi elle essaie de se reconnecter avec sa fille, elle-même marginale parmi les membres excentriques de sa famille. Ainsi, dans un moment émouvant, la suite de Beetlejuice replace au centre de la fantaisie macabre à l’œuvre l’importance du lien intergénérationnel.
La dynamique de Beetlejuice Beetlejuice est à l’image de l’entrée en scène du personnage joué par Monica Bellucci – une redoutable créature de Frankenstein qui réassemble les morceaux de son propre corps, à la manière de Sally dans L’Étrange Noël de Monsieur Jack (1993). Composé de séquences extravagantes, plus ou moins habilement reliées entre elles, le film foisonne d’effets visuels hybrides et ingénieux ainsi que de maquillages truculents. De la collision entre les morts et les vivants, il en résulte un carnaval de personnages cocasses, dont le démon farceur Beetlejuice porté par l’énergie électrique de Michael Keaton, un étrange révérend délicieusement interprété par Burn Gorman et un (faux) inspecteur de l’au-delà incarné avec jubilation par Willem Dafoe. Il s’agit avant tout d’un exutoire pour Tim Burton, qui renoue avec un esprit festif le temps d’un long-métrage commençant et se finissant à la manière d’un rêve (ou d’un cauchemar) éveillé.
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