Mais comment n’en sélectionner qu’un seul alors qu’il en existe tant, bourrés de talent ? Pour faire face à cette problématique, Swanny et Nicolas ont eu l’idée de confronter leurs préférés à travers une correspondance, que nous vous proposons de découvrir.
Qui aura le dernier mot ?
De : Swanny
A : Nicolas
Après une mûre et intense réflexion qui, je dois bien l’avouer, n’a pas été de tout repos, j’ai enfin trouvé les stylistes parfaits pour notre numéro anniversaire : Ken Okada et Cheikha.
Avec eux on va pouvoir faire découvrir de jeunes et talentueux créateurs à nos lecteurs ; et tu sais pertinemment que ces derniers sont très nombreux. D’un côté, Ken Okada donnera une nouvelle vision de la mode japonaise qu’on a déjà eu l’occasion de découvrir avec Kenzo ou Yamamoto ; et d’un autre côté on pourra montrer le talent certain d’un styliste sénégalais, qui utilise admirablement et très largement les tissus africains traditionnels. Evidemment, elles sont loin les époques Chanel et Dior au regard de ces deux stylistes, mais grâce à eux on va pouvoir donner un aperçu de l’étendue des possibles dans l’univers de la mode.
Qu’en penses-tu ?
De : Nicolas
A : Swanny
Je pense que c’est une excellente idée et je suis tout à fait d’accord avec ton choix… Non, je blague ! Certes, Cheikha et Ken Okada ont toute mon estime, mais je pencherais plutôt pour deux maisons, pas très connues, mais aux styles bien différents. L’une qui se limite au prêt-à-porter, Marithé + François Girbaud et l’autre à la haute couture, Eymeric François.
Deux maisons françaises, deux styles quasiment opposés. Un streetwear fonctionnel avant tout chez les Girbaud, mais qui parvient par je ne sais quel miracle à être élégant. Sûrement grâce au soin porté à chaque détail. En plus les Girbaud ont une réelle philosophie « humaniste », avec une écologie qui va dans le bon sens. Et puis il faut bien que je l’avoue, j’ai un petit faible pour leurs super campagnes de pub.
Et Eymeric François… Ça ne fait pas bien longtemps qu’il a commencé, mais je suis ab-so-lu-ment épaté par ce qu’il fait ! Je l’ai découvert avec sa collection FW 06/07, dénommée Nocturne. Une flamboyance presque gothique. Un noir qui n’a rien à voir avec le noir de Chanel et pourtant…
De : Swanny
A : Nicolas
Bien sûr les stylistes que tu proposes sont très talentueux. J’aurais aimé dire que tu as mauvais goût, mais malheureusement ce n’est pas le cas (et l’argument aurait été bas et peu pertinent). Mais un peu d’exotisme que diable ! La France, il est vrai, est très productive et très créative dans l’univers de la mode, mais il ne faut pas mettre de côté l’Afrique qui a beaucoup à nous offrir. Cheikha sait montrer, avec un modernisme déconcertant, qu’on peut utiliser les tissus traditionnels sans avoir l’air d’être vêtu d’un boubou (je précise que je ne critique pas le boubou, il s’agit d’un vêtement traditionnel qui est très dépaysant et loin d’être repoussant). De plus, son talent est d’autant plus notable, du fait que Cheikha est un autodidacte touche à tout. Il a testé la sculpture et on peut retrouver son goût certain pour cet art dans ses créations de mode, en qualifiant ces dernières de « sculpturales ». Et puis je dois bien avouer que son côté urbain est très rafraîchissant.
De : Nicolas
A : Swanny
Je n’ai rien contre le boubou, bien au contraire ! C’est coloré et on en voit de magnifiques. On dirait même que ça a donné des idées à Christian Lacroix pour sa collection prêt-à-porter SS08… Cela dit, si tu aimes le côté urbain, on ne peut pas passer à côté de Marithé + François Girbaud. Bon, une photo vaut mieux que de grands discours, je crois que tout est dans ce look :
Le côté urbain est bien là, comme d’habitude chez Girbaud, avec des formes simples et faciles, fonctionnelles mais qui « tombent » bien. Même le slim passe bien ici. C’est un exploit, non ? J’avoue, j’aime le noir c’est peut-être ce qui m’attire ici… Mais cette idée toute bête de mêler deux écharpes… Je trouve ça hyper réussi, c’est ce qui ajoute LA touche à cet ensemble plutôt simple. Je crois définitivement qu’ils sont incontournables… Ca fait pas loin de 40ans qu’ils ont fait leurs premiers jeans et ils sont fidèles à eux même, gardant une conduite respectueuse de l’environnement et de l’humain en général. Ça vaut bien un clin d’œil !
De : Swanny
A : Nicolas
Ce que tu dis n’est pas faux, je le répète, mais tout ceci est tellement (pardonne-moi le terme) prévisible ! Ne serait-il pas plus intéressant pour nos lecteurs de découvrir d’autres façon de modeler les tissus, de jouer avec les volumes, de trouver d’autres sources d’inspiration ? Nous avons le slim, nous avons le noir, nous avons les écharpes et les compensées. Evidemment, tout ceci est très urbain, mais ce que je trouve d’intéressant chez Cheikha et chez Okada c’est le fait qu’ils soient reconnus comme créateurs de mode, mais que rares sont les personnes dans la rue s’inspirant d’eux. Pourquoi ? Sont-ils inconnus ou méconnus par les acheteurs? Sont-ils trop différents de ce qu’a l’habitude de porter le commun des mortels ? Sont-ils trop éloignés du prêt-à-porter, ou à l’inverse trop proches de la haute-couture ?
J’ai déjà évoqué Cheikha, alors à présent parlons de Ken Okada. Regarde ces modèles !
Le premier modèle exhibe une robe chic de par sa matière et sa longueur, mais aussi une robe urbaine de part les finitions, la déconstruction, et la restructuration du tissu. Quant au deuxième, c’est un mélange d’urbain et de sportswear. Le tout est très sculptural et malgré un manque évident de pantalon ou de jupe si notre intention est de sortir nous balader, j’ai bien envie de porter ces vêtements justement pour me démarquer. La maille ne signifie pas obligatoirement « grosse masse informe » ou « pull chaussette » et la robe longue ne veut dire « soirée en grandes pompes ».
Voilà deux exemples parmi tant d’autres, mais ce que j’aime chez Ken Okada, c’est qu’elle ose les superpositions, les vêtements réversibles, et les reconstructions. On sent qu’elle joue et qu’elle s’amuse. Ses idées fonctionnent. Et enfin ses créations sont toujours ambiguës car elle mélange les genres ; on ne s’ennuie pas.
De : Nicolas
A : Swanny
Je dois avouer que le deuxième modèle a une sacrée allure… C’est vrai qu’on peut faire des choses bien avec des grosses mailles, Dorothée bis l’a prouvé il y a quelques années déjà. Mais questions look architecturé, Eymeric François a atteint le sublime dans sa collection SS08. Regarde plutôt :
Ce n’est plus simplement une « fringue », je crois… Tu disais que Cheikha avait touché à la sculpture, lui n’en a pas besoin. C’est d’une créativité inouïe, non ? Ne viens pas me dire ensuite que c’est prévisible ! Je pense que Eymeric François tout autant que les Girbaud méritent plus que quiconque qu’on parle d’eux. Ce n’est pas seulement pour leur maîtrise ou leur originalité. Mais une sorte de mélange, qui arrive à tirer la quintessence d’un style pour mieux le faire évoluer. D’un côté Eymeric François qui arrive à introduire des éléments oniriques, presque gothiques voire « Heroïc Fantasy » dans la traditionnelle robe du soir et de l’autre les Girbaud qui tirent le style urbain vers plus d’élégance, sans en renier le côté fonctionnel.
En plus, les Girbaud ont une histoire et une philosophie qui empreint leurs créations. Leur soutien à l’association Seeds of Peace, la fabrication écolo de leurs vêtements… Et leurs campagnes de pub qui sont assez géniales. Celle-ci, la Cène, a fait du bruit à sa sortie, le clergé n’a pas bien goûté le sel de la référence, qui n’est autre qu’un hommage à la femme (mais une femme à la place de Dieu, ça remet tout en question !).
De : Swanny
A : Nicolas
Je suis complètement sous le charme de l’œuvre d’Eymeric François, car on peut finalement parler d’œuvre. La couture est un art. Elle découle de goûts, d’émotions, d’envies et d’humeur. Il y a bien sûr de la technique, mais elle s’apprend et le ressenti, lui est inné. L’art c’est tout ça : de l’inné et de l’acquis. Cette robe est magnifique !
Cependant, ce que je trouve admirable avec Cheikha, c’est le fait qu’il soit autodidacte : il a touché à la sculpture, il a touché au design d’objet et toutes ces expériences ont inspiré Cheikha dans ses créations couture. Il avait la fibre artistique, il avait l’inné et il le savait, et le fait qu’il soit autodidacte me pousse presque à dire que ce qui devrait être de l’acquis, est pour lui de l’inné. Il a trouvé sa passion dans la mode, il a fait ses premières créations seules, sans l’aide d’un maître, ni d’une école. Il considère la mode comme un art et traite chacun de ses modèles comme des œuvres.
La mode est pour lui un véritable vecteur de culture et de communication. Le vêtement fait partie de ce que nous sommes, et il veut prouver à l’Occident que la mode africaine est une valeur sûre, et qu’il ne faut pas hésiter à investir. Il s’implique dans des projets avec l’envie et l’ambition qu’un jour, sûrement, sa mode et surtout SIGIL, sa marque phare, seront traitées à niveau égal avec les grands créateurs Français.
La mode de Ken Okada est elle aussi un art, un art du spectacle et un art graphique. Elle laisse son inspiration la guidée et joue avec le hasard. Sa technique est au service de l’inné et elle ne se bute pas non plus à un art unique, mais s’ouvre à la mise en scène. Tous les grands couturiers font de la mise en scène.
Contrairement à Cheikha, tout se joue dans la simplicité et dans l’épuration des matières et des couleurs. Elle joue, et ce terme est aussi bien une référence à l’amusement qu’au théâtre. Regarde ces sourcils ou plutôt ce sourcil ! Ce n’est pas encore la Comedia Dell Arte, mais regarde ces mannequins, tout comme Ken Okada ils paraissent très inspirés par ces modèles.
Pourquoi ai-je choisi ces deux stylistes ? Car diamétralement opposés par leur style, ils se rapprochent à travers leurs inspirations et leurs émotions. Surtout ils ont envie de prouver leur valeur et de faire accepter leur art par le monde occidental.
De : Nicolas
A : Swanny
Je suis ravi de te voir convaincue par Eymeric François ! Quant à Marithé + François Girbaud, je suis sûr qu’ils apporteront beaucoup, tant par leurs créations que par l’univers qu’ils ont su créer autour d’elles. Et, combien étonnant, regarde les filles s’éclatent visiblement lors du défilé. C’est suffisamment rare pour être signalé et c’est à peu près certain que ce dossier sur eux aura le même effet sur nous !
De : Swanny
A : Nicolas
Oui, les Girbaud et et Eymeric François sont bons et même très doués, mais moi, je veux Ken Okada et Cheikha !
De : Nicolas
A : Swanny
Je le dis, le redis, le répète, le rerépète, le rererépète, l’annonce, le prononce, le susurre, le murmure, le signale, le déclare, le déclame, le réclame, le clame tout court, l’écris même, le décris, l’inscrit, le grave, l’appuie, le demande, le redemande, le supplie, l’invective, l’injoncte, le requiers, l’enquiers, le radote, le jaspine, le crache, l’accouche, le couche sur le clavier, l’indique, l’explique, le cause et l’enjoins, rien ne vaut Eymeric François et les Girbaud !
De : Swanny
A : Nicolas
Mon jeune, cher et tendre Nicolas,
Ma tristesse a atteint son apogée, car je suis dans l’obligation de te dire, et je le répète, je suis sincèrement navrée, mais oui, oui, oui oui et oui, il existe des créateurs qui valent Eymeric François et les Girbaud, et ils ne sont autres que Cheikha et Ken Okada. Non ! Retiens tes larmes, qu’elles soient de désespoir ou de rage, mais admet-le, car c’est la vérité vraie. Nos lecteurs ressentiront un vide s’ils n’ont pas l’occasion de découvrir Cheikha et Ken Okada.
De : Nicolas
A : Swanny
Chère et adorable Swanny,
Comment nos lecteurs pourraient-ils ressentir le vide de ce qu’ils ne connaissent pas ? A moins qu’une force extra-terrestre ne le leur annonce, comme dans Rencontre du troisième type ? Au passage, toute force extra-terrestre non dénuée de bon sens choisirait Eymeric François et Ken Okada, j’en suis persuadé !
De : Swanny
A : Nicolas
O merveilleux Nicolas,
Enfin, je vois que tu fais un pas vers ma direction ! Tu choisis Ken Okada, n’hésites pas à en faire un deuxième et nous serons entièrement d’accord. Veux-tu que je t’aide à écrire ce petit mot de 7 lettres ? C-H-E-I-K-H-A. C’est à toi maintenant et enfin nous vivrons heureux.
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