Huit ans après Microbe et Gasoil (2015), Michel Gondry, qui est connu pour des clips musicaux de Björk ou de Daft Punk et le film Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), revient à la réalisation avec un long-métrage encore intime. Si sa précédente œuvre est tirée de souvenirs d’enfance, Le Livre des solutions s’inspire quant à lui d’une expérience particulière survenue après le tournage d’un de ses films, évoquant entre autres sa propre bipolarité. Cette nouvelle production met en scène la dérive d’un jeune réalisateur, nommé Marc Becker, tentant contre vents et marées de terminer son film. Perdant la confiance de ses producteurs à la vue du montage proposé, ce dernier décide de délocaliser son équipe, composée d’une monteuse et de son assistante, au cœur d’un village des Cévennes, là où vit sa tante Denise. Problème : Marc n’arrive pas à se concentrer sur sa propre création ! Afin d’y remédier, il a l’idée de suivre une méthode unique en son genre en concevant ce qu’il appelle un « Livre des solutions ».
Michel Gondry ose l’autoportrait à travers ce personnage de réalisateur, débordant d’idées folles jusqu’à en devenir hyperactif, capricieux et irascible à l’égard des autres. Sollicitant l’aide de son entourage, que ce soit de jour ou de nuit, Marc commence de nouveaux projets qui ne font que l’éloigner de sa création. Pour donner un exemple, il se met en tête d’enregistrer la musique du film en dirigeant lui-même un orchestre local. Ce goût du risque, poussé par l’envie de tout contrôler, donne lieu à une séquence proprement hallucinante dans son déroulement, reposant sur un équilibre précaire entre l’improvisation dangereuse pour le personnage principal et l’harmonie musicale apportée par les musiciens. Michel Gondry met en scène toute une série de situations kafkaïennes provoquées par son alter ego fictif. Ce dernier considère son Livre des solutions comme un guide spirituel et tente d’avancer au gré de péripéties frénétiques, en allant à l’encontre de ses producteurs et même des règles cinématographiques pour faire les choses à sa manière. Pierre Niney endosse habilement le rôle de ce cinéaste en crise, en lui donnant une énergie particulièrement survoltée. Quatre présences féminines viennent canaliser les égarements du jeune réalisateur, parmi lesquelles sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin) et son assistante (Frankie Wallach) essaient de donner un point de vue réaliste sur la situation. A l’opposé, la venue d’une jeune femme nommée Gabrielle (Camille Rutherford) est mise en scène comme une échappatoire fantaisiste. Le personnage féminin le plus important dans la vie de Marc est sans nul doute sa tante Denise (Françoise Lebrun), douce et attentionnée, qui agit comme une boussole morale pour cet électron libre. Toutes ces personnalités différentes inspirent aussi bien le projet de Marc que le long-métrage réalisé par Michel Gondry, qui rend hommage à ses collaborateurs et à sa tante Suzette, déjà au centre de son documentaire L’Epine dans le cœur (2010).
Pourtant, derrière la mécanique d’un comique de situation, Le Livre des solutions parle de manière plus profonde des dérives de la création. Comme son personnage principal qui passe son temps à se disperser, le long-métrage se fonde sur un mouvement dérivatif constant. Il met en scène quelques débordements de la fiction avec l’irruption de courts-métrages créatifs au cours de l’histoire. Parallèlement, le montage joue avec les ellipses et les transitions : lorsque Marc décide d’aller à Paris sur un coup de sang, le plan qui suit le met en scène, l’espace d’un instant, dans la même positon, comme si le décor s’était déplacé à sa place. De cette manière, Michel Gondry fait correspondre sa réalisation à l’esprit instable de son personnage-réalisateur. Le spectateur est délibérément plongé dans une confusion entre le fantasme et la réalité, à la manière de Federico Fellini dans Huit et demi (1963). Bien que le rythme du film en pâtisse, laissant place à une impression de redondance, la mise en scène frénétique arrive à traduire une détresse touchante venant du personnage de Marc. Alors qu’au début un travelling vertical retranscrit le labyrinthe d’embranchements d’une télévision, faisant penser aux mécanismes d’un cerveau, le jeune cinéaste reste devant une gigantesque prise électrique vide, dans un plan fixe suggérant sa panne d’inspiration. Le Livre des solutions est ainsi conçu comme un « film-cerveau » troublant et fascinant, explorant les rêves et les angoisses d’un esprit en plein chaos inventif.
Sorti dans les salles depuis le 13 septembre, Le Livre des solutions est un film qui sert d’exutoire pour son auteur, puisant dans ses expériences en tant que cinéaste pour élaborer des situations comiques et des images fortes. Sous un ton léger, il se dessine également l’errance mélancolique d’un homme créatif en proie à ses propres démons. C’est précisément cette fragilité mise en images qui fait gagner à la comédie une part d’humanité. Sous son air de réalisateur fantaisiste, Marc manifeste une inquiétude permanente, se sentant, comme il le dit lui-même, triste le matin et manipulé l’après-midi. Son entourage logé dans les Cévennes constitue une sorte de communauté en marge du monde. En jouant sur le point de vue de son personnage principal, notamment par le biais d’une voix-off en décalage avec les situations représentées à l’écran, Michel Gondry signe avec force et sincérité une œuvre étonnante, drôle et efficace, sondant l’inventivité et les tourments qui sont engendrés par la création cinématographique.
1 Comment
lou
8 novembre 2023 at 16:08Ce film a l’air bien effectivement