L’on n’avait plus vu Sean Penn derrière une caméra depuis « The Pledge », en 2001. Mais cela valait la peine d’attendre… Car en 2007, on le retrouvait enfin, caméra au poing, pour le film sans doute le plus émouvant de l’année. S’inspirant de l’histoire vraie de Christopher McCandless, rapportée par le journaliste américain Jon Krakauer dans le roman « Voyage au Bout de la Solitude », Sean Penn livre, avec « Into The Wild », un film bouleversant, comme on n’en avait plus vu depuis longtemps, sans doute le meilleur de sa carrière en tant que réalisateur.
L’on dit que le « road movie » est un genre qui apparaît souvent en période de doutes, de grands bouleversements dans l’histoire d’un pays. Or, l’action d’ « Into The Wild » se situe au début des années 1990, alors que George Bush père est aux commandes d’une Amérique qui vit le traumatisme consécutif à la première Guerre du Golfe. Les Américains s’interrogent, remettent leur mode de vie en question. Cette remise en question, ces doutes, ces grandes interrogations, sont symbolisés ici par la fuite en avant du personnage principal : Christopher McCandless.
A 22 ans, et récemment diplômé d’une université de renom, l’on pourrait croire que Christopher a tout pour réussir dans la vie. Ses parents sont à l’aise financièrement, et il semble promis à un bel avenir. Pourtant, c’est sans crier gare qu’un jour, Christopher décide de tout laisser derrière lui et de partir à l’aventure, seul, en pleine nature, into the wild. L’errance de Christopher est censée symboliser la recherche des réponses que les personnages, dans les « road movies », pensent toujours trouver plus loin devant eux parce qu’ils n’ont plus rien à attendre de ce qu’ils laissent derrière. Pour Christopher, le bonheur, la vraie vie, ne réside pas dans ce culte du matérialisme que ses parents semblent lui avoir inculqué. Sa vie actuelle le dégoûte, son avenir tout tracé et sans surprise aussi, Christopher n’a plus rien à apprendre de cette vie. Aussi, c’est sans prévenir personne ni regarder en arrière qu’il fait son baluchon et s’en va.
Débute alors un périple à travers les Etats-Unis et ses paysages gigantesques, uniques, écrasants. Le film prend par moment des allures de carte postale. Se succèdent devant vos yeux émerveillés les champs de blé du Dakota, les incroyables flots du Colorado, les pittoresques communautés hippies de Californie, puis le froid hivernal de l’Alaska et ses grandes étendues, couvertes de neige. Impossible de ne pas avoir envie de faire ses valises et s’en aller, nous aussi !
Christopher rencontrera un tas de gens lors de son périple, de sa quête du bonheur et d’harmonie avec la nature. Sean Penn, et cela ne nous étonne pas de lui, met sur son chemin des marginaux et des parias : des naturistes, des babas cool, un vieil ermite, des hommes qui ont choisi de vivre au contact de la nature, parfois même nus, en se détachant résolument, tout comme Christopher, de la valeur phare de l’Amérique moderne : le matérialisme. Ces rencontres qui jalonnent sa grande aventure donnent du rythme au récit et, on le comprend au fil des minutes, répondent aussi à certaines interrogations du jeune homme, pour finir, à la toute fin du film, par donner un sens à sa fuite.
Au bout de son voyage, Christopher atteindra son but ultime en s’aventurant seul dans les étendues sauvages de l’Alaska, pour vivre en totale communion avec la nature. Une nature qui l’émeut et le bouleverse, mais une nature aussi, qui peut se révéler dangereuse si l’on n’est pas attentif aux signaux qu’elle envoie…
La révélation Hirsch
Pour porter sur ses épaules cette aventure en pleine nature de près de deux heures trente, il fallait à Sean Penn un acteur solide, et talentueux. On aurait pu s’attendre à un de ses visages vendeurs d’Hollywood mais cela aurait été sous estimer Sean Penn. Au lieu de cela, il a confié cette lourde et périlleuse tâche à un (presque) parfait inconnu (à l’époque) : Emile Hirsch. Presque, parce que Hirsch avait déjà notamment fait parler de lui sous la houlette de Catherine Hardwicke (« Twilight », « Thirteen ») et aux côtés de Heath Ledger (RIP) dans « Les Seigneurs de Dogtown », un film sur l’histoire du skate. Pas transcendant en soi, mais la prestation de l’acteur n’était pas passée inaperçue…
Aussi, c’est dans la peau de Christopher McCandless que Hirsch confirme et balance à la face du monde son talent, livrant une interprétation juste et bouleversante, se donnant corps et âme à son personnage. Il ne serait pas exagéré d’affirmer que le film tout entier repose sur ses frêles épaules. Le garçon est d’apparence fragile, mais son jeu est fort et sans faille. Il parvient à capter l’attention du spectateur du début à la fin, et à la rattraper en un tournemain dans les moments les moins « calibrés » de l’intrigue, en faisant passer une foultitude de sentiments contradictoires. Epatant !
Emile Hirsch, c’est la cerise sur le gâteau de ce casting au demeurant impressionnant. Omniprésent, il ne se démonte pas et assure face à des interprètes souvent beaucoup plus expérimentés que lui, qu’il s’agisse de William Hurt et Marcia Gay Harden (ses “parents”), Catherine Keener ou encore Vince Vaughn dans un contre-emploi très convaincant. Rien que pour cette révélation, « Into The Wild » mérite d’être vu. Mais pas que, bien sûr… !
Une mise en scène inspirée
Six ans que l’on avait plus vu Sean Penn derrière une caméra ! L’acteur-réalisateur-scénariste sait se faire désirer ! Avec « Into The Wild » Penn revient à ses premières amours. On retrouve en effet quelque chose d’ « Indian Runner » (réalisé en 1991) dans cette aventure. Ici aussi l’on voit grandir le personnage principal, passant de l’adolescence à l’âge adulte, non sans difficulté d’ailleurs. Le style Penn est clairement reconnaissable également. L’esthétisme de la réalisation me ferait presque monter les larmes aux yeux. Car pour Sean Penn, chaque détail compte. Certains diront qu’il s’agit d’une volonté de la part du cinéaste de dramatiser l’histoire, assommant le spectateur de paysages grandioses et de plans à la limite du larmoyant. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un désir de mettre constamment en relation l’ampleur écrasante des décors, splendides, avec l’intimité des sentiments, d’une vérité bouleversante.
Pour ma part, la mise en scène inspirée de Sean Penn épouse simplement les sensations et émotions de son personnage, au moment où il les vit. La réalisation de Sean Penn, qui va droit au cœur, combinée jeu saisissant d’authenticité d’Emile Hirsch, font d’ « Into The Wild » un long métrage juste unique !
Mais le film ne prend réellement toute son ampleur que lorsque l’on se met à réfléchir trente secondes au message qu’il cherche à faire passer. Connaissant Sean Penn, réputé pour être un acteur-réalisateur … engagé dirons nous, il était impossible qu’il n’y ait pas de cette aventure une quelconque leçon à tirer…
La leçon dépend du spectateur. Certain y verront une critique ouverte de notre société et mode de vie actuels, imposant au consommateur que nous sommes d’être toujours plus matérialiste et dépendant, d’autres y verront un hommage à la nature, et à la vie sans attache, et pour d’autres enfin, il s’agira de pardon, d’apprendre à vivre avec les erreurs de ses proches, et de les accepter.
Quoiqu’il en soit, « Into The Wild » est sans aucun doute porteur d’un message crucial. A vous de déterminer lequel.
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