D’après son étymologie latine, le nom « rituel » signifie coutume, usage, ou prend même le sens religieux de cérémonie. Et, en effet, en y réfléchissant bien, nos petites habitudes du soir précédant le coucher ont été acquises au terme d’une évolution progressive. Celle-ci est venue transformer de simples gestes apparemment anodins en un moment incontournable de notre journée et presque immuable. En somme, un véritable cérémonial respecté à la lettre de peur que votre joli minois n’en pâtisse de manière irréversible.
– Tu viens te coucher ?
– Oui oui, j’arrive dans cinq minutes…
Seuls les mots n’ont pas changés et pourtant mesdames, dans cinq minutes, et cela quoi que vous puissiez arguer pour votre défense, vous ne serez pas aux côtés de votre tendre moitié. Votre homme patientera pourtant sans broncher, en guise de compensation des heures de ménage, de repassage et autres réjouissances qu’il ne peut se vanter de faire et que vous vous êtes résignée à ne plus lui reprocher (du moins plus aussi souvent).
Une fois dans votre salle de bain, le temps s’arrête, et c’est l’occasion de revenir sur ces petits changements qui, inconsciemment, sont devenus un véritable rituel. D’abord, chose essentielle qui correspond à votre point de départ : le démaquillage. Indispensable s’il en est, la séance de dégraissage total et intensif, est passée d’utilitaire au rang de corvée. Il faut bien l’avouer, si votre dextérité s’est améliorée en même temps que votre sélection de produits, l’argument principal qui consistait à évoquer le caractère nuisible pour votre peau de rester toute le nuit maculée de vos résidus colorés et qui retenait votre cher et tendre éveillé n’est plus d’actualité. Au fil du temps, c’est machinalement que vous maniez ce coton imbibé d’un démaquillant trois en un censé déboucher vos pores et éliminer toutes impuretés et traces de pollution venues ternir l’éclat de votre épiderme. Comme vous êtes une femme moderne, c’est également le sens de l’organisation qui est venue s’introduire dans ces procédés : d’abord, on démaquille, avec un coton double face, toujours, puis c’est au tour de la « lotion ». Votre tout premier usage de cette potion rose remonte à fort longtemps… et vous en avez oublié que cela vous évitait simplement un troisième passage au coton. Mais tel le placebo faisant effet, vous vous persuadez que cela purifie votre épiderme retendu (pour ne pas dire tiraillé) sous l’action immédiate du liquide miracle.
Cette lotion a donc une seconde utilité : préparer la peau à être hydratée, justifiant ainsi l’emploi d’un troisième baume salvateur : la crème de nuit. « Mais par quel hasard ce pot bleu foncé a-t-il fini par investir mon placard (hautement sécurisé) ? ». Dans un éclair de lucidité, cette question ose vous effleurer l’esprit. Pourquoi vous, qui êtes dans la fleur de l’âge, utilisez-vous désormais une crème de nuit pour hydrater votre peau (certes) desséchée par une lotion abrasive mais nécessaire ? C’est dans le soucis bien sûr de prévenir l’éventuelle arrivée des premières rides disgracieuses qui feraient mentir votre carte d’identité. Mais surtout, c’est par hasard que cette petite boîte est parvenue jusque dans votre caddie ! Toutes les femmes se fourvoient un jour ou l’autre entre anti-rides et crème hydratante, inutile de culpabiliser. Après maints cercles et micro massages déformant votre visage au night care, vous êtes bientôt rendue… et dans tous les cas sous haute protection « crémiologique ».
– Chéri, j’arrive… Tu ne dors pas hein ? Tu ne dors pas ? Tu m’attends !
Mais bien sûr que si, il s’endort, et dix minutes ou peut-être quinze se sont déjà écoulées… Cependant, vous n’en avez cure, car votre petit cérémonial n’est pas encore terminé. Et là, la seconde moitié de votre cerveau restée inactive vous renvoie en pleine figure ce que vos petites habitudes vous avaient aidé à oublier : le visage n’y suffit plus. Pressée par vos échéances matinales du lendemain, c’est le soir que vous devez vous occuper d’hydrater et de raffermir votre corps : les senteurs et les textures se mélangent, mais les sens se perdent… « Je rêve !!! Je suis en train d’utiliser la mixture de la publicité que j’exècre au plus haut point vantant les mérites d’une crème cellulite zéro (zéro « capiton », zéro effort => zéro résultat) ». De haut en bas, de bas en haut, je fais un huit, je presse bien : ça chauffe, ça rentre, j’ai tout bon ! Pourtant, votre fausse naïveté transformée en petit mensonge à vous-même vous coûte cher à l’arrivée. Car ce n’est pas tant votre jugement qui a changé, mais bel et bien vous qui vous êtes laissée entraîner dans des habitudes qui ne correspondent pas à ce que vous êtes ni à ce que vous pensez de ces attrape-« … » au packaging savamment étudié. Ces quelques petits instants de solitude vous ont finalement remis les idées en place. Allez, une dernière petite couche pour la route : la crème hydratante pour les mains, sans oublier le baume à lèvres car elles aussi se sont desséchées en attendant leur tour.
Vous y êtes, c’est terminé jusqu’à la prochaine fois. Votre moitié est endormie, mais ce nouveau record (vingt sept minutes exactement, à noter et retenir pour une éventuelle future discorde…) a ouvert vos yeux tous démaquillés. L’utilité de ces petits moments privilégiés qui n’appartiennent qu’à vous sont passés du statut de nécessité au rang de corvée. L’avantage est que durant ces quelques minutes (ou disons, dizaines de minutes) selon la profondeur de vos interrogations existentielles, le mécanisme a laissé place à l’introspection, à une auto-analyse qui vous fera bannir tout stratagème frauduleux consistant à camoufler quelques unes des parties visibles de votre évolution qui font tout votre charme et qui, sinon, seront décuplées lorsqu’en bonne représentante des octogénaires actifs, plus aucun artifice n’aura d’efficacité sur votre façade définitivement altérée.
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