Raoul Taburin, Marcellin Caillou, Le Petit Nicolas (en collaboration avec René Goscinny) ; autant de titres littéraires qui évoquent une écriture simple mais sincère, un coup de crayon épuré mais sensible, un trait d’esprit au premier abord anodin mais facétieux. C’est oublier que, bien avant tous ces ouvrages, l’auteur-illustrateur bordelais Jean-Jacques Sempé a fait ses premières armes dans le domaine du dessin de presse. Il a signé plusieurs dessins humoristiques dans Sud Ouest, Paris Match, Le Rire et a réalisé plus d’une centaine de couvertures pour le magazine The New Yorker à partir de 1978. Son style est reconnaissable surtout pour sa manière de capter le quotidien et d’y placer toujours un point de décalage ; observer le monde avec un regard malicieux, telle est la profession de foi de Sempé.
Depuis Rien n’est plus simple (1962), Sempé se consacre chaque année à la publication d’un album de dessins chez Denoël. Après avoir célébré les Musiques (2017), son nouveau livre n’aborde pas de thématique particulière mais possède un titre qui éveille sans nul doute notre curiosité : Garder le cap. Les illustrations qui y sont regroupées dépeignent en effet des personnages en quête d’une étincelle dans leur quotidien, que ce soit une vieille dame allumant à l’église un cierge drapé d’un nœud papillon ou un employé se sentant aventurier avec une étoffe réagissant au gré du vent. L’auteur n’exclut pas l’humour, en faisant dire par exemple à un Robinson Crusoé coincé sur une île sous la pluie : « Pourvu qu’il fasse beau le week-end ». Seulement, au-delà de son humour, il s’autorise à dessiner des planches aux dimensions plus larges, ce qui donne lieu à des mises en scène plus contemplatives.
A chaque case, un même regard, complice et mélancolique, se pose sur plusieurs aspects de la nature humaine. A travers un homme contemplant son jardin un soir d’été, un comédien qui prend trop à cœur son rôle de névrosé sur scène ou un artiste en mal d’inspiration devant sa muse, Sempé capte avec lucidité les aléas de la vie. Dans ce nouvel album, son trait inimitable s’adapte merveilleusement à une méditation amusée et tendre sur la condition humaine. Garder le cap, c’est en définitive un dialogue par le dessin entre l’auteur et le lecteur à propos de la volonté qui nous anime tous.
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