A chaque nouvelle réalisation, Pedro Almodóvar parvient toujours autant à nous captiver, à égayer nos sens, à faire jaillir nos émotions et réveiller nos pulsions les plus animales. Survie, passion, échecs, drames de la quotidienneté, recherche de son « moi » dans une ville impitoyable qui fait naître des créatures tout aussi fantasmagoriques et enfin domination, masculine bien entendu, au sens bourdieusien du terme, sont les thèmes favoris du réalisateur espagnol le plus connu et reconnu du moment. Cette notoriété, Pedro Almodóvar se l’est construite en mettant en scène des femmes, en les faisant se révolter, aimer, oser, se dévoiler, se battre. Dénonçant avec extravagance cette insidieuse « domination masculine » de l’espagnol macho véhiculée par la culture et entretenue par une histoire difficile, avec « Volver » (« Revenir »), sorti en mai 2006, Almodóvar réalise véritablement le chaînon manquant de son œuvre cinématographique en « retournant » effectivement aux sources de son inspiration et en parvenant à mettre en scène des souvenirs qui font partie de son être. D’où son choix de mettre à l’honneur des personnages presque exclusivement féminins (après « La Mala educación » en 2005), de retravailler avec les actrices fétiches de son début de carrière comme Carmen Maura (Irene dans le film) mais également de « revenir » à ses racines natales de la province de la Mancha qu’il avait pourtant voulu fuir si jeune, attiré par la « movida » madrilène des années 1950-1960 qui l’a tant inspiré.
Sole, Paula et Raimunda
Pourquoi ce coup de coeur pour « Volver » ? Parce qu’au-delà de la notoriété de son réalisateur et de l’impact médiatique de chacune de ses réalisations, la performance des acteurs et l’ingéniosité du scénario font de ce film une perle rare. En plus d’évoquer les thèmes délicats de l’inceste, de la violence conjugale, de la maladie et de la mort, Almodóvar nous livre avec « Volver » un peu de cette Espagne qui a depuis deux décennies remporté le pari de la modernité. Alors que les villes connaissent un essor sans précédent, les villages continuent de vivre au rythme de l’entraide, du système « D » (qui verse parfois dans l’illégalité), de la solidarité entre générations, de la circulation des potins, des croyances en l’au-delà et ses superstitions, des traditions mortuaires entretenues avec une ferveur hors du commun. Tout un tableau sociologique traité avec justesse et beaucoup d’humour au travers de trois générations de femmes au caractère bien trempé, étonnantes d’authenticité, de force et de fragilité.
L’intrigue commence à Madrid où Raimunda (Penelope Cruz) vit avec sa fille Paula (Johana Cobo), en pleine adolescence, et son mari Paco, un ouvrier au chômage qui ne fait rien d’autre de ses journées que boire. Pour s’en sortir financièrement, Raimunda cumule plusieurs petits boulots, mais les fins de mois sont difficiles. Le décès de la tante Paula qu’elle aimait tant vient finir de l’épuiser émotionnellement, dépassée par l’irresponsabilité et la brutalité, tant physique que morale, de son mari. C’est sa sœur aînée, Sole (Lola Dueñas), qui lui apprend la terrible nouvelle et l’urgence de retourner au « pueblo » (village), au cœur de la province de la Mancha, pour assister à l’enterrement. Malheureusement, Sole devra s’y rendre seule. Raimunda vient de retrouver son mari mort poignardé dans son salon et doit prendre les choses en mains. En effet, sa fille Paula, horrifiée, lui avoue que son propre père a tenté d’abuser d’elle et qu’elle n’a eu d’autre choix que de le tuer pour se défendre. Alors que Sole, assez peureuse de nature, affronte seule les vieilles dames du village qui viennent veiller la défunte tante, elle découvre que des rumeurs circulent à propos de la mort de sa mère, jadis décédée dans un incendie. On raconte en effet que son fantôme serait de retour au village et apparaîtrait régulièrement. A son retour à Madrid, aussi surréaliste que cela puisse paraître, Sole elle-même voit sa mère. Elle n’ose y croire, mais dans sa naïveté naturelle, recueille le fantôme et la présente comme une clocharde russe qu’elle a recueillie par charité et qui l’aide sans broncher dans son salon de coiffure clandestin. De son côté, pour protéger sa fille à tout prix, Raimunda redouble d’ingéniosité pour se débarrasser du corps de son mari qu’elle dit être parti définitivement du foyer. Les mystères et mensonges autour des deux morts vont replonger les personnages dans le passé au gré de multiples péripéties qui permettront à la vérité de voir le jour.
Emotion et révélations se mêleront aux situations comiques provoquées par les mensonges à répétition. Un film plein de rebondissements, une intrigue saisissante mêlée d’une angoissante présente fantasmatique… et une Penelope Cruz extraordinaire.
Irene et Raimunda le soir de leurs retrouvailles
Site officiel : http://www.volver-lefilm.com/
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