Lorsque les œuvres de H.G. Wells, auteur britannique prolifique à la fin du XIXème siècle, sont évoquées, ce sont généralement ses romans de science-fiction, tels La Machine à explorer le temps (1895) et La Guerre des mondes (1898), qui marquent toutes les générations.
Son imaginaire scientifique allié à une approche réaliste aura fait la réputation de cet écrivain en tant qu’auteur d’anticipation. Pourtant, la carrière de Herbert George Wells ne se résume pas uniquement à la science-fiction puisque l’écrivain a touché presque à tous les genres (romans naturalistes, satire sociale, œuvres de prospective, etc.) et à tous les styles d’écriture (romans, nouvelles, scénarios et pièces radiophoniques). Il fut avant tout un auteur engagé socialement et politiquement. Si L’Homme Invisible est reconnu avant tout pour son concept d’un être humain pouvant confondre son tissu corporel avec l’environnement, la dimension satirique du récit mérite d’être rappelée.
Le roman met en scène l’intrusion de l’homme invisible dans une bourgade. Cet individu intrigue son entourage puisque son corps entier est recouvert de bandages. Quand son secret est révélé, une panique générale domine dans le village. Le récit se focalise bien plus sur les réactions des habitants que sur les actions du personnage-titre. Le lecteur aurait pu s’attendre à une histoire horrifique, mais il ne s’agit en fait qu’une couche, attrayante cela dit, de la richesse de ce petit roman. L’approche du fantastique s’apparente plus à celle de Frankenstein (1818) de Mary Shelley : celle de confronter l’élément perturbateur au monde humain dit rationnel pour ensuite dévoiler les réactions des citoyens, chamboulés par un événement paranormal. En multipliant les points de vue narratifs et les changements de ton, mariant les codes du drame, du récit d’horreur et même à certaines situations, de la comédie burlesque, Wells réussit à illustrer dans son roman la folie qui s’empare des citoyens paniqués. Leurs réactions face aux agissements de l’homme invisible prêtent à rire, à les soutenir et à réfléchir sur notre comportement.
La pluralité des genres sert également à enrichir le portrait de l’Homme invisible. Demeurant le centre d’attention de l’histoire, c’est un personnage aux multiples facettes. D’abord perçu comme un étranger, puis comme un fugitif intelligent mais sociopathe aux tendances psychopathes, il devient fascinant par la contradiction de ses émotions qui le font devenir un être instable. Il est l’épicentre de la folie humaine du récit : devenant un étranger à cause de ses obsessions scientifiques, le personnage perd peu à peu la raison par des agissements criminels qu’il juge lui-même moraux. Il apparaît également pathétique dans la mesure où son sort est entièrement de sa faute dû à sa mégalomanie dominatrice. L’Homme invisible représente le message de l’histoire : à force de merveilles et de progrès scientifiques, l’homme est puni par son arrogance et chassé par ses semblables au nom de la norme sociale et de la morale.
L’Homme Invisible est un roman de H.G. Wells surprenant et pertinent dans la mesure où la pluralité des registres littéraires et des procédés stylistiques illustrent à merveille l’impression de folie et la critique remettant en cause le comportement de l’homme en société face à un phénomène inattendu. Si le changement de point de vue et la narration, assez irrégulière dans les derniers chapitres, peuvent en déstabiliser plusieurs lecteurs, ce petit roman baroque saura tout de même vous intriguer et vous captiver par la maîtrise de son suspense et grâce à l’évolution fascinante de cet homme invisible très particulier.
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