Il y a un point de départ à tout, un premier pas vers l’égalité, l’émancipation ou encore la parité. Elles sont restées dans l’ombre et pourtant elles sont les instigatrices de ce premier pas, ce point de départ. Elles ont ouvert la voie, chacune dans leurs domaines, aux Marie Curie et autres Simone Veil. Leurs noms ne vous diront rien et pourtant leurs actes, leurs simples existences devraient être des références. Elles ont combattu les mentalités de l’époque en étant les meilleures dans leurs domaines respectifs (politique, santé médecine, littérature, artistique, physique…).
C’est donc une sélection de plusieurs portraits que je vous propose, des portraits de femmes oubliées qui aujourd’hui méritent d’être mises en lumière. Une façon de leur dire merci… tout simplement…
Madeleine Brès (1842-1922) : Première française à devenir médecin…
Le rôle de l’école dans l’émancipation des femmes et les modalités d’accès des femmes à l’enseignement supérieur sont aujourd’hui bien connus. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir une femme reçue à Paris, c’est une anglaise, Miss Elisabeth Garrett, née à Londres en 1836 et qui obtint le doctorat en 1870. La première française est Madeleine Brès, reçue à l’âge de 33 ans en 1875. Une vocation peu banale pour l’époque car on ne pouvait imaginer intégrer le corps médical si on étaitune femme, univers purement masculin. Mais c’est en accompagnant son père lors de ses visites à l’hôpital de Nîmes que Madeleine sentit que c’était également sa vocation. Elle commence à donner quelques soins à l’âge de 8 ans, prise d’affection par une infirmière qui l’encouragea. Elle fut mariée à 15 ans ! En 1866, M. le professeur A. Wurtz, doyen de la Faculté de Médecine accepte de la soutenir si elle obtient son baccalauréat. Trois ans après cette entrevue Madeleine Brès revint auprès du Doyen, munie du baccalauréat, et dix ans plus tard elle soutenait sa thèse de doctorat.
Elle doit d’abord obtenir l’accord de son mari pour présenter le baccalauréat ès-sciences, qu’elle obtient en tant que candidate libre. Son inscription à la Faculté de Médecine de Paris en 1868 intervient au terme d’un combat romanesque. L’accord de son mari est accordé le 24 octobre 1868 devant le maire du Ve arrondissement de Paris, alors qu’elle est âgée de 26 ans, elle parvient donc à s’inscrire à la Faculté de médecine de Paris grâce à l’intervention de l’impératrice Eugénie et au soutien de Victor Duruy, alors ministre de l’instruction publique. Lors de la guerre de 1870, elle sera interne provisoire à l’Hôpital de la Pitié et brillera par son excellence. Elle est en même temps mère de quatre enfants, déjà veuve et décide malgré tout de concourir à l’externat puis à l’internat, c’est refusé car interdit ! Après moult combats et pétitions sort l’Arrêté préfectoral du 17 janvier 1882 : « Les femmes sont admises à prendre part au concours de l’externat sous la réserve formelle qu’elles ne pourront, en aucun cas, se prévaloir de leur titre d’élèves externes pour concourir à l’internat ». Puis l’Arrêté préfectoral du 31 juillet 1885 : « Les élèves externes femmes qui rempliront les conditions déterminées par le règlement sur le service de santé seront admises à prendre part au concours de l’internat. Les internes femmes seront soumises à toutes les règles d’ordre intérieur et de discipline qui concernent les internes hommes ».
Le 3 juin 1875, elle soutient sa thèse, préparée dans le laboratoire du professeur Wurtz, dont le titre est « De la mamelle et de l’allaitement », elle est reçue avec la mention très bien. Madeleine Brès devient ainsi la première femme française médecin de la Faculté de médecine de Paris. Elle exerça alors à Paris, dirigea un journal : « Hygiène de la femme et de l’enfant », et publia des ouvrages de puériculture. Docteur en médecine, elle se dévouera, en tant que précurseur, à la médecine de la femme et de l’enfant pendant 50 ans. Avant de finir aveugle, pauvre et oubliée…
A lire : L’Hygiène de la femme et de l’enfant, revue de Madeleine Brès.
Marie Marvingt (1875-1963) : Pionnière dans de nombreux domaines…
Marie Marvingt, née à Aurillac en 1875 et morte à Nancy en 1963, surnommée « la fiancée du danger », est une pionnière de l’aviation en France et l’une des meilleures alpinistes du début du siècle. Licenciée en lettres, parlant sept langues, elle était titulaire de trente décorations. Elle apprend également le droit et la médecine, devient infirmière diplômée et assistante en chirurgie. Elle s’intéresse également aux arts (théâtre, chant, dessin, peinture, sculpture), la cuisine et l’astrologie.
C’est une grande sportive dont la devise :« Je décide de faire mieux encore et toujours » lui a permis d’être détentrice de dix-sept records mondiaux et elle est la femme la plus décorée. Elle est parmi les premières femmes titulaires du permis de conduire, qu’elle obtient dès 1899. Elle passe également quatre brevets de pilote (avion, ballon, hydravion, hélicoptère) et pilote également des dirigeables. En 1908, elle a posé sa candidature pour participer au Tour de France cycliste. Les organisateurs ayant refusé, elle fait le même parcours que les hommes, en prenant le départ plus tard qu’eux. Elle invente l’aviation sanitaire en 1910. En 1960, âgée de quatre-vingt-cinq ans, elle pilote le premier hélicoptère à réaction français, le Djinn ! Elle ne s’arrête jamais, sa force et son énergie sont remarquables ! Plusieurs surnoms lui collèrent à la peau : « La reine de l’air », « Marie casse-cou », « l’infatigable globe-trotteuse », « l’éternelle curieuse », « la femme la plus extraordinaire du siècle », « la femme la plus extraordinaire depuis Jeanne d’Arc », « la femme la plus décorée au monde », « la fiancée du danger » : elle reste « un modèle de dynamisme et de foi en l’être humain, une grande dame de cœur » dont les exploits ont permis de faire avancer les mentalités en plusieurs occasions. Elle pratique de nombreux sports à une époque où l’image de la femme française était tout simplement celle d’une bonne maîtresse de maison. Elle pratique la natation, le cyclisme, l’alpinisme, l’aéronautique, l’aviation, l’équitation, la gymnastique, l’athlétisme, l’escrime, les jeux d’adresse : tir, tennis, golf, polo. Dans tous les sports elle brille et est au premier rang. Elle aimait le risque, la lutte et l’effort. Un timbre à son effigie a également été émis en 2004 pour lui rendre un hommage bien mérité : une vignette postale représentant le buste de l’aviatrice se détachant sur un ciel dégradé allant du bleu à l’orange. Un documentaire passionnant de 52 minutes retraçant sa vie a été diffusé à la télévision en mars 2006.
A lire : Marcel Cordier et Rosalie Maggio, Marie Marvingt, la femme d’un siècle, Pierron, Sarreguemines, 1991
Elsa Triolet (1896-1970) : Première femme « Goncourt »
Elsa Kagan, certainement la plus connue des cinq femmes décrites ici grâce à son époux Aragon, est née à Moscou, le 12 septembre 1896, dans une famille d’intellectuels juifs qui a le privilège de pouvoir résider dans la capitale russe. Elsa gagne Paris dans les années 1920. C’est en 1928, qu’elle rencontre Louis Aragon, dandy surréaliste, qui deviendra le poète officiel du Parti communiste français. Elsa et Louis entament une vie commune mouvementée qui va durer quarante ans. En 1938, elle adopte définitivement la langue française pour son roman Bonsoir, Thérèse. Au début de la Seconde guerre mondiale, Aragon est enrôlé dans un bataillon spécial composé de communistes. Le livre qu’Elsa Triolet vient de publier, Maïakovski poète russe : souvenirs, est interdit. Lorsque Louis Aragon est démobilisé, le couple se réfugie en zone sud où ils participent tous deux à la création du mouvement de résistance des intellectuels. Elle s’associe à la création clandestine des Editions de Minuit avec Vercors (alias Jean Bruller). Elle co-fonde la revue Lettres françaises et devient présidente d’honneur du Conseil national des écrivains qui s’est créé pendant la guerre. Pendant l’occupation, Elsa Triolet continue à publier. Elle fait paraître en 1942 le roman Mille regrets puis Le Cheval blanc en 1943.
Son recueil de nouvelles Le premier accroc coûte deux cent francs est édité en 1944. Il obtient le premier prix Goncourt décerné après la guerre, en 1945. Quarante deux ans après la fondation du Goncourt, Elsa Triolet est la première femme à recevoir ce prix, peu doté financièrement, mais assorti de très fortes ventes. Après elle, sept autres femmes en seront honorées. Elsa Triolet est désormais reconnue comme écrivain français et va produire plusieurs romans estimés par le public. Elle devient aussi une des figures féminines centrales du P.C.F. Sans y adhérer, elle occupe une position d’influence capitale dans le Parti, auprès d’Aragon qui en est un des piliers intellectuels. Les dernières années de sa vie sont rendues difficiles par la maladie qui limite ses mouvements. L’année de sa mort, elle publie un ultime roman, Le rossignol se tait à l’aube. Elsa Triolet s’éteint le 16 juin 1970 dans leur propriété de Saint Arnoult-en-Yvelines, à l’âge de soixante-quatorze ans. Pour tous elle reste la muse d’Aragon, comme dans l’ombre de celui-ci, et pourtant Elsa triolet fut un grand écrivain à part entière.
A lire :Lilly Marcou, Elsa Triolet, les yeux et la mémoire, Paris, Plon, 1994.
Germaine Poinso-Chapuis (1901-1981): Première femme ministre en France
En 1943, le Conseil national de la Résistance s’engage à accorder le droit de vote aux femmes à la Libération. La décision est prise en considération du rôle joué par les femmes dans la lutte contre l’Occupant. Cette mesure est concrétisée par l’ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française, signée par le général de Gaulle à Alger le 21 avril 1944, qui reconnaît aux Françaises le droit de participer à la vie politique du pays. Trois ans plus tard, en novembre 1947, Robert Schuman nomme Germaine Poinso-Chapuis à la tête du ministère de la Santé publique et de la Population. Pour la première fois en France, une femme obtient le titre de ministre. Avocate à Marseille, Germaine Poinso-Chapuis est titulaire de la médaille de la Résistance. En qualité de ministre, elle fait voter des lois sur la santé publique et la protection de l’enfance. Après la dissolution du cabinet Schuman, en juillet 1948, elle poursuit son action en faveur de la famille et de l’enfance sur les bancs de l’Assemblée nationale, où elle est élue députée. Dans les gouvernements suivants, les femmes demeurent très isolées au sein d’équipes essentiellement masculines. Cette situation évolue à partir de 1974 avec le gouvernement de Jacques Chirac, dans lequel six femmes sont appelées à participer à la conduite de la politique de la Nation Leurs responsabilités sont d’importances inégales. Seule Simone Veil est nommée en qualité de ministre. Aucune femme n’avait plus exercé cette fonction depuis la nomination de Germaine Poinso-Chapuis en 1947. Incroyable mais vrai !
A lire : Yvonne Knibiehler, Germaine Poinso-Chapuis. Femme d’État, Edisud, Aix-en-Provence, 1998.
Claudie André Deshays (née en 1957) : Première française dans l’espace
Claudie André-Deshays, désormais connue sous son nom d’usage Claudie Haigneré, est née le 13 mai 1957 au Creusot. C’est une scientifique, spationaute et femme politique française. Claudie se révèle très tôt une enfant surdouée, toujours en avance sur les autres et qui s’ennuie à l’école. Son rêve ? La gymnastique qui s’efface très tôt devant ses compétences intellectuelles élevées. Elle suit les conseils de ses parents et « en attendant », fait une année de médecine. Elle terminera l’année major de promo… Elle poursuit sa médecine à Dijon, et obtient son Doctorat en 1981. Des Certificats d’Etudes Spécialisées complèterons cette formation : C.E.S de biologie et médecine du sport (1981), C.E.S. de médecine aéronautique et spatiale (1982), C.E.S. de rhumatologie (1984). Elle obtient un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) de biomécanique et physiologie du mouvement (1986) et soutient une thèse de neuro-sciences en 1992. Pendant huit ans, elle exerce à l’Hôpital Cochin, à Paris, en rhumatologie et réadaptation. Elle participe également à la préparation d’expériences de physiologie pour le vol de Jean-Loup Chrétien à bord de Mir en 1988. C’est dans les couloirs de Cochin qu’elle lira une annonce de recrutement de pilotes d’essais et de scientifiques pour les futures missions spatiales du CNES (Centre Nationale d’Etudes Spatiales). Sur 1000 candidats, 7 seront retenus, 3 pilotes et 4 scientifiques. Parmi eux une seule femme. La creusotine est en route vers les étoiles. Le 17 août 1996, Claudie Haigneré débute un vol de 16 jours à bord de la station orbitale russe Mir dans le cadre de la mission franco-russe CASSIOPEE et effectue de nombreuses expériences médico-physiologiques, techniques et biologiques(Parmi celles-ci, le suivi de l’état cardio-vasculaire de cosmonautes en apesanteur, l’étude du développement d’embryons de tritons, des expériences sur le comportement de structures métalliques en apesanteur.)En novembre 1999, elle est intégrée à l’Agence spatiale européenne et rejoint le corps des astronautes européens à Cologne en Allemagne. En janvier 2001 elle devient la première astronaute française à voler à bord de la Station spatiale internationale . Claudie à l’instar de ses comparses féminines à ouvert la voie, la voie de l’égalité jusque sur la lune !
A lire : Marie-Dominique Lancelot, « Claudie André-Deshays : A l’appel des étoiles », dans Revue aérospatiale, n°98, mai 1993.
Elles sont encore nombreuses à rester dans l’ombre et pourtant à avoir œuvré, peut être à leur insu, pour l’amélioration de la condition féminine : Marie-Angélique Duchemin, 1ère femme chevalière de la légion d’Honneur, Clémence Royer 1ère femme qui a obtenu le droit d’enseigner à la Sorbonne, Lily Laskine 1ère femme instrumentaliste à l’orchestre de l’Opéra de Paris(Harpiste), Anna de Noailles 1ère femme commandeur de la Légion d’honneur, Amelia Earhart 1ère femme aviatrice à traverser l’atlantique en solitaire, Elisabeth Schmidt 1ère femme ordonnée femme Pasteur, Mme Levannier 1ère femme ceinture noire de Judo en France, Olivia de Havilland Première femme présidente du jury du festival de Cannes, Jacqueline Dubut Première femme pilote de ligne, Yvonne Brucker 1ère femme conductrice de métro, Arlette Laguiller première femme candidate aux présidentielles…Et pourtant les faits sont là, elles l’ont fait, pour elles, pour nous ! Elles ont fait en sorte que cela devienne possible, même si ça semble parfois banal à nos yeux de contemporaines blasées. Une musicienne à l’orchestre de Paris a provoqué un tollé à l’époque, aujourd’hui cela semble tout à fait ordinaire, et pourtant il a fallu se battre, tout comme la première conductrice de métro, de taxis ou autres, il n’y a pas de petits combats ! La liste est inépuisable et les domaines comme les personnalités de ces femmes sont tout aussi variés. Aujourd’hui, elles reprennent leur place au Panthéon des femmes de légende.
Une journée pour honorer ces femmes, ainsi que celles que nous sommes, parait ridicule, il faut faire en sorte que cette journée devienne pérenne. Elles ont ouvert la voie à nous de continuer le chemin dans nos petits combats quotidiens.
2 Comments
Atalanta
8 mars 2009 at 7:54Excellente idée ce sujet. Certaines femmes sont connues, d’autres un peu moins et c’est un bonheur de découvrir leurs combats et leurs triomphe, même si l’histoire ne se termine pas toujours bien. Une inspiration pour nous toutes et une belle façon de célébrer la journée de la femme.
8mars
7 mars 2009 at 13:47Intéressants portraits de femmes ! Seriez-vous d’accord pour qu’ils viennent compléter ces portraits : http://8mars.online.fr/rubrique.php3?id_rubrique=131