Un peu de bois et d’acier, c’est une histoire sans paroles. Un album épais par la pagination mais fin par sa narration. Ou comment rendre magique et humain un simple banc qui repose sous son arbre…
Tout est une question de rythme… Avec son histoire sans paroles Chabouté laisse le lecteur voguer à son gré au fil des cases et des historiettes qui s’y déroulent. Tout se passe en un plan quasi-fixe, focalisé sur un banc et un arbre. Les personnages qui défilent devant où s’y arrêtent laissent chacun voir une bribe de leur existence au passage. Certains récurrents suscitent l’attachement…
On peut parcourir Un peu de bois et d’acier à toute vitesse. On aura alors presque l’impression de voir une bande animée, tant les plans successifs sont proches les uns des autres. A contrario, on pourra laisser l’imagination vagabonder à l’apparition de chaque passant, en prenant son temps. Cela fait tout le charme de l’album.
Si le temps est à la discrétion du lecteur, l’auteur n’en a pas moins savamment travaillé le rythme de narration. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, on ne s’ennuie pas au cours de ces trois cents pages de plan fixe sur un banc. Chabouté a une science de l’accélération temporelle assez singulière, capable de traîner sur plusieurs pages une scène qui dure trente secondes, avant d’encadrer une saison entière par deux plans successifs.
Un peu de bois et d’acier, c’est une réussite technique tout autant qu’émotionnelle. Rendre touchante une telle série de dessins digne d’un dérushage relève de l’exploit. Et comme cet album ne parle pas, nous avons laissé son auteur s’exprimer…
Comme est née l’idée de ce scénario ?
J’avais envie d’une histoire futile. C’est important, les choses futiles. L’idée, c’était de s’arrêter, d’affûter son regard sur un plan large, sans qu’il n’y ait quelque chose d’important a priori.
Brassens a chanté les bancs publics. Tu te places dans la lignée de sa poésie ?
Ca a sûrement aidé. Mais si j’ai réussi déjà à dire le quart de la moitié du tiers de ce que Brassens a dit dans sa chanson, je serais très fier ! L’album est un ensemble de petites idées. Ca aurait pu se passer dans une salle d’attente ou à un arrêt de bus. Mais ce qui fait la particularité d’un banc, c’est qu’on s’y arrête sans faire quelque chose, sans rien attendre. A un arrêt de bus ou dans une salle d’attente, il y a un but et il se passe ce que l’on a prévu d’y faire. L’avantage du banc, c’est que lorsqu’il s’y passe quelque chose, ça n’est pas prévu.
Pourquoi avoir choisi ce trait simple et le noir et blanc ?
J’ai essayé d’élaguer au maximum. Ce n’est pas une ambiance noir et blanc classique, vu que les cases y sont très ouvertes. Ca crée des chemins de travers que le lecteur peut emprunter. Le lecteur dispose de son histoire, peut imaginer le passé des gens qui passent. Comme il n’y a pas de texte, le lecteur éclate les cases et peut créer ses rajouts.
Est-ce difficile à mettre en place, cette narration linéaire et sans dialogue ?
Ce n’est pas difficile, c’est un choix de mise en scène. L’idée est d’avoir un plan fixe, avec un champ relativement restreint, qui comprend le banc et l’arbre. Dès les premières scènes, les personnages arrivent de la gauche et repartent vers la droite. Le lecteur imagine ensuite ce qui se passe de chaque côté de ce cadre. Ce qui est difficile, c’est de garder le même décor. Mais je me lance de temps à autres des défi, pour aller là où on ne m’attend pas.
Un banc, c’est un personnage un peu particulier. Comment lui donner du relief et de la personnalité ?
Il faut sans arrêt le remettre en avant. Il lui arrive des trucs tout au long de l’album, c’est ça qui le fait vivre. Et c’est lui qui fédère tous les personnage qui gravitent autour.
Notre magazine s’appelle Save My Brain. Sauver les cerveaux… Comment peut-on le faire ?
Alors là, je ne sais pas ! Je sors les avirons et je rame…
Peux-tu nous parler de tes derniers coups de cœurs culturels ?
Kelly Joe Phelps ! C’est un chateur blues folk assez impressionnant. Depuis six mois, je n’écoute que ça…
Un peu de Bois et d’acier, Dessin et scénario de Christophe Chabouté, Editions Vents d’Ouest, 30 €
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