Au programme de ce troisième jour au Festival de la BD d’Angoulême, trois expositions thématiques, regroupant trois univers totalement différents. A chaque fois, leurs auteurs nous touchent quelques mots de leurs œuvres. Fred pour Philémon, Philippe Coudray pour l’Ours Barnabé et Joan pour Lucie in the Skeuds se sont ainsi succédés à notre micro.
Cette année, l’Hôtel Saint-Simon, située en plein cœur du vieux centre d’Angoulême, rend hommage à Fred, l’auteur de Philémon, Grand Prix du Festival d’Angoulême 1983. Au sein de ce bâtiment historique, l’univers de l’auteur y est retracé à travers un grand nombre de planches originales.
« Je suis ému de revoir ces planches que j’ai dessinées il y a parfois soixante ans. J’en ai oubliées certaines. Bien sûr, elles me reviennent en mémoire quand je les revois ! ». Ces planches présentent diverses scènes de Philémon et du Petit Cirque, publié à l’origine dans Hara Kiri et qui fera l’objet d’une réédition très bientôt chez Dargaud.
« A revoir certaines planches, je me remémore même la musique que j’écoutais au moment de les créer. Pour des scènes tristes, j’avais tendance à écouter du Schubert ou du Bach. Alors que pour des moments plus joyeux, c’était du jazz. La musique a toujours accompagné ma création. Je ne pouvais pas écouter des paroles ou les informations. Elles me faisaient sortir de l’histoire. Au contraire, la musique me replongeait dedans. »
A admirer les planches originales de Philémon, on est frappés par l’univers onirique et surréaliste de Fred. Et aussi par l’habileté avec laquelle l’auteur joue avec le découpage des cases, faisant osciller ses héros tantôt libres dans univers imaginaire et tantôt prisonniers de leurs cases et phylactères imprimés. Après une longue interruption, cet univers si particulier devrait retrouver son lustre pour un nouvel album, après une interruption de vingt-cinq ans.
« Je suis heureux d’être ici, pour visiter cette exposition. Vous vous rendez compte qu’il y a deux jours encore, j’étais à l’hôpital. Et en pleine nuit, en déambulant dans les couloirs, la fin du prochain Philémon m’est venue d’un coup, sans que je la cherche. ». Nous avons plus que hâte de découvrir la prochaine création de cet auteur aussi émouvant que créatif.
Autre univers totalement différent, l’Ours Barnabé a l’honneur d’une exposition au Musée du Papier, situé au bord de la Charente. Avant tout destinée aux enfants, cette série met en scène des gags simples où l’Ours Barnabé et son ami le lapin ont la vedette. Prix des écoles du Festival d’Angoulême, Philippe Coudray a cherché à séduire un public le plus large possible avec cette exposition.
« Je ne voulais pas me cantonner à un alignement de planches originales, qui ne sont finalement pas si différentes que ce qu’on peut voir dans les albums publiés. C’est pour ça que j’ai réalisé des tableaux, qui remettent en scène l’Ours Barnabé dans l’histoire de l’art ».
Barnabé dans la Grèce Antique, Barnabé à la place de la Joconde, Barnabé sous forme de tableau cubiste… Autant de créations inattendues. « J’ai toujours eu un vrai goût pour l’Art, c’est ce qui m’a donné envie de cette digression. »
On notera également la présence d’une série de planches d’auteurs les plus variés, se replongeant dans l’univers de Barnabé avec leur propre style. Avec des résultats des plus inattendus, comme celui de Lewis Trondheim, dont l’univers habituel n’a pas grand-chose à voir avec celui de Philippe Coudray.
Dans un espace des plus limités, cette exposition réussit la gageure de séduire petits et grands, tout en plongeant le visiteur dans l’univers de Barnabé. Et ne loupez pas la distribution de pommes ! On ne sait pas si ça vous aidera à sauver votre cerveau mais ça vous permettra de garder la ligne et d’arriver à vos cinq fruits et légumes par jour.
Comme Francis Groux le soulignait hier, le Festival d’Angoulême regroupe aussi une myriade d’expositions non officielles. Nous nous sommes ainsi rendus au 44, un restaurant situé dans l’avenue Gambetta, qui descend vers la gare, pour découvrir l’expo de Joan, intitulée Lucie in the Skeuds.
Hommage évident au célèbre titre des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds issu de l’album Sergent Pepper’s…, elle regroupe une collections de pochettes d’albums célèbres, revisitées par Joan, créateur du personnage La Petite Lucie, qui a notamment émaillé les pages du Journal de Spirou.
Des images complètement revue et des scènes improbables. Voilà comment sont transformées les célèbres images de Bowie, des Pink Floyd, des Who ou encore des Stooges. Rencontre avec l’auteur, qui vient tout juste de publier sa collection sous forme d’un livre, paru aux éditions 12 bis.
Save My Brain : Si tu devais te présenter en quelques mots…
Joan : Oh la ! C’est impossible, ça… Impossible !
SMB : Comment t’es venue cette idée de détourner des pochettes de disques ?
Joan : A la base, ça vient d’une invitation d’un festival BD, le festival Illico en Alsace. Ils ont proposé à une quinzaine d’auteurs de personnaliser des pochettes de disques. Au lieu d’une seule, je suis venu avec six. J’ai toujours aimé dessiner au Posca sur différents supports et j’ai trouvé l’idée sympa. Et j’avais déjà dessiné sur des pochettes de disques, notamment dans des soirées électro où les DJ arrivent avec des pochettes vierges. J’ai décidé ensuite d’y intégrer mon personnage de La Petite Lucie.
SMB : Ensuite, comment en es-tu venu à faire une telle collection de pochettes ?
Joan : Ensuite, j’ai rencontré les gars du Festival d’Aix en Provence, qui m’ont proposé d’en faire une expo. J’en ai fait alors une quarantaine. Ensuite, en deux ans, j’en suis arrivé à cent cinquante ou deux cents pochettes. J’en ai vendu au fur et à mesure mais j’en ai gardé des traces. Un ami photographe en a fait des clichés de très bonnes qualités, ce qui a permis de sortir le livre et d’agrandir l’expo. Pour moi, c’est maintenant devenu un jeu, de chercher des pochettes de vinyle dans les marché aux puces et les brocantes.
SMB : Comment choisis-tu les pochettes sur lesquelles tu vas jeter ton dévolu ?
Joan : Je recherche avant tout un visuel. Ma collection de pochettes n’est pas forcément basée sur ma discothèque idéale. Je travaille toujours sur le format 33 tours. D’ailleurs, je trouve que les pochettes des années 1970 sont les meilleures bases. D’une part parce qu’elles nous ont marquées, nous restent tous en tête. Et d’autre part parce qu’elles jouaient encore sur la photo, avec simplement une mise en scène. A part quelques rares cas où le groupe pose devant un mur, il est facile d’y intégrer Lucie. Sur les pochettes modernes, c’est beaucoup plus compliqué, parce qu’elles sont souvent l’objet d’une création graphique en elle-même. Je fouille donc les disquaires et les marchés aux puces. Et il faut parfois un certain courage, parce qu’on tombe sur une bonne dose de Michel Sardou. Et en Alsace, où j’habite, il y a beaucoup de vieux disques de musique germanique, presque militaire.
SMB : Quelle serait alors ta discothèque idéale ?
Joan : Je fais un peu le grand écart… Récemment, j’ai trouvé super The Jim Jones Revival. A part le jazz, auquel je n’ai jamais réussi à me faire, j’écoute de tout et même des trucs bizarre. Des trucs un peu expérimentaux, genre Nick Cave ou Sonic Youth. Sinon, j’écoute des radios web, comme Radio Clash. Il y a des émissions de 90 minutes autour d’un thème, où tout le monde peut proposer des titres. Ca va dans tous les styles, du moment que les titres répondent au thème. Par exemple, il y a eu les gros mots. Il y a eu pas mal de rap, mais aussi de la chanson française d’il y a trente ans. En tout cas, un torrent d’insultes assez dingue et marrant pendant une heure et demie ! Sinon, à force de racheter de vieux vinyles, je les réécoute avant de m’attaquer à leur pochette. J’ai ressorti ma platine et j’écoute pas mal de vieilleries. Certaines ont bien vieilli. D’autres beaucoup moins ! Ah, j’oubliais ! Un pote m’a fait récemment découvrir Chrome Cranks et trouve ça pas mal.
SMB : Comment t’es venue l’idée d’ajouter des planches de BD mettant en scène Lucie ?
Joan : Ca m’a paru nécessaire quand 12 bis m’a proposé de faire un livre. J’avais peur qu’une succession de pochettes soit soulante. Et Lucie est un personnage de BD à l’origine. Connue surtout par les gamins et les gens qui ont des gamins, vu qu’elle paraît dans Spirou. Et je trouve qu’elle avait un rôle à jouer, vu qu’elle n’a pas connu l’époque vinyle. On peut lui donner un regard qui lui permet de mettre en lumière les anecdotes que je vois dans les marchés aux puces, où on rencontre des passionnés.
SMB : Notre magazine s’appelle Save My Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?
Joan : Il faut prendre des notes ! C’est ma tactique, j’ai des bouts de papiers qui traînent partout. Et prendre le train. Je fais souvent Mulhouse-Paris ou l’inverse et à chaque fois, c’est trois heures où je peux faire le ménage dans ma tête, et être tranquille. J’y écris, je ponds des trucs, je note des idées… Ca permet une gymnastique du cerveau qui l’entretient.
SMB : Ton coup de cœur BD de l’année ?
Joan : Je n’en lis pas beaucoup… Même ici, je n’ai pas encore eu le temps de voir ce qui se faisait. Je cours de rencart en rencart, je vois des copains. Mais dernièrement, j’ai bien aimé Doomboy. C’est paru chez Paquet. C’est l’histoire d’un gamin qui joue de la guitare, qui enregistre des cassettes et qui les envoie anonymement. Je trouve le graphisme attachant et c’est un élément nécessaire pour que je sois attrapé par l’album. Sinon, j’ai beaucoup de bouquins qui circulent. Pour moi, un livre doit vivre. Alors comme j’en ai beaucoup que je récupère à droite à gauche, mes amis me les emprunte et j’ai tout un tas de post-it pour savoir où ils sont partis !
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