Le dernier créateur choisi par le Musée des Arts Déco est Hussein Chalayan. Si l’exposition se montre remarquable, elle présente avant tout le mérite de mettre en avant les trouvailles extraordinaires du styliste d’origine chypriote, impossibles à saisir avec une simple galerie photo.
J’ai en mémoire une photo d’un défilé d’Hussein Chalayan. Un cliché qui se trouve au fond de mes archives et qui m’a toujours interpellé par sa singularité. Celui-ci fait voir une femme entièrement nue, simplement vêtue d’un chapeau aux formes OVNIesques, qui ressemble plus à un luminaire signé Philippe Stark qu’à un canotier charmant. Je m’étais toujours interrogé quant à l’intérêt de cette silhouette : le chapeau n’apportait rien puisque porté par d’autres modèles. Quant à la tenue… Elle brillait par son absence et n’avait par conséquent rien à démontrer. Si cette interrogation est restée en suspens si longtemps chez moi, c’est qu’il me manquait un élément clé : une vidéo du défilé.
Au fond du premier étage de la galerie du musée de la mode, la collection One Hundred and Eleven, du printemps-été 2007, se trouve présentée sous forme de vidéo. Absolument nécessaire : on y découvre tout d’abord des pièces élégantes jouant d’effets de transparence, une Agyness Deyn angélique dans une petite robe blanche faisant la part belle à la dentelle, une extraordinaire robe faite de bulles de plastique transparent… Puis vient l’événement, sous la forme d’une dernière flopée de looks à géométrie variable. D’abord, une robe victorienne qui se déboutonne comme par magie. Puis un look extraterrestre formé de plaques blanches, qui se désarticulent et se reforment avec des inserts métalliques. Et finalement, une aérienne robe de mousseline, tout bonnement aspiré par le chapeau. Voilà donc cette fameuse explication d’un mannequin nu sur un podium, avec un chapeau pour seul vêtement.
Assurément spectaculaire, cette collection n’est qu’un exemple du génie créatif d’Hussein Chalayan. Dans tous les domaines du design, les stylistes doivent composer avec la philosophie de leur marque. Ainsi, le travail d’un Christopher Bailey chez Burberry se confinera avant tout à la réinterprétation des codes traditionnels d’une maison centenaire. A l’inverse, un créateur dont la maison porte son nom pourra se permettre toutes les folies. C’est le cas d’Hussein Chalayan, qui mêle avec brio pièces portables et looks révolutionnaires dans une seule et même collection. Mieux, le créateur ne se contente pas de dessiner. Chaque collection correspond à un thème. Si la pratique est largement répandue dans le monde de la mode, les thèmes choisis par Hussein Chalayan ont souvent une portée qui dépasse le cadre du vêtement. Les thèmes des migrations, du cauchemar ou de la vitesse marquent à ce point ses créations qu’il convient de les placer sur l’exacte frontière qui existe entre la mode et l’art contemporain.
Au fil de la visite dans les galeries du musée de la mode, on découvre une robe qui tient dans une enveloppe de courrier postal à envoyer par avion. Des références à des événements politiques, comme le déplacement forcé des Turcs chypriotes (défilé Afterwords), des étoffes lacérées symboles de conflit armé (Manifest Destiny), des robes « cinétiques » portant la trace de la vitesse dans leur volume comme si elles étaient issues d’un dessin animé (Inertia) ou encore des tissus à l’aspect amical (à mi chemin entre la toile de Jouy et la chemise hawaïenne) qui représentent en fait des scènes de guerre. Toutes ces significations ne se laissent découvrir qu’après examen, bien mieux mises en lumière dans des défilés qui se révèlent comment de véritables happening.
En soulignant les divers aspects créatifs d’Hussein Chalayan, ainsi que ses travaux dans le domaine de l’art, le musée de la mode a su rendre grâce à l’inventivité du créateur. Une exposition à ne louper sous aucun prétexte.
L’exposition Hussein Chalayan court jusqu’au 11 décembre 2011.
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