« l’écriture n’est pas là pour sauver… on écrit pour se souvenir et ne pas oublier »
Philippe Forest est né le 18 juin 1962. Ce romancier et essayiste est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et docteur ès lettres, il enseigne durant sept ans la littérature française dans les universités anglaises (Cambridge, Saint-Andrews). Professeur de littérature française comparée à l’Université deNantes, auteur de nombreux essais consacrés à la littérature et à l’histoire des courants d’avant-garde, et de romans, collaborateur de la revue Art Press, critique littéraire, cinématographique et artistique, il collabore régulièrement au magazine Transfuge depuis 2010.
Philippe Forest a écrit cinq romans parus aux éditions Gallimard : « l’enfant éternel » en 1997, pour lequel il reçoit le Prix Fémina du Premier Roman, « Toute la Nuit » en 1999, « Sarinagara » en 2004, « L e Nouvel Amour » en 2007 et « le Siècle des Nuages » en 2010. ll est également l’auteur d’essais dans diverses maisons d’éditions : en 1992 « Philippe Sollers » et « Camus », « Le Mouvement Surréaliste » en 1994, « Textes et Labyrinthes : Joyce, Kafa, Muir, Borges, Butor, Robbe-Grillet » et « Histoire de Tel Quel » en 1995, « Oé Kenzaburo » et « Le Roman, le je » en 2001, « Près des acacias, l’autisme, une énigme » en 2002, « Raymond Hayms » en 2004, « La Beauté du Contresens et autres essais sur la littérature japonaise » en 2005, « De Tel Quel à l’Infini » en 2006, « Le Roman, le Réel et autres Zssais » et « Tous les Enfants sauf Un » en 2007, « Haïkus, etc suivi de 43 secondes » et « Araki enfin, l’Homme qui ne vécut que pour aimer » en 2008, et en 2010 « le Roman infanticide, essais sur la littérature et le deuil ».
Essayiste et romancier, deux activités indissociables selon l’écrivain, Philippe Forest développe en parallèle ce qu’il appelle la série de ses fictions romanesques et celle de ses fictions critiques, de telle sorte que les mêmes questions se trouvent successivement et simultanément abordées à travers ces deux formes littéraires. Pour l’écrivain, un essai doit se lire comme un roman et un roman doit se lire comme un essai, pour lui la littérature ne doit pas être séparée de la pensée.
Pour Philippe Forest, toute vie est un roman et par conséquent, seul le roman sait dire la vie . Le souvenir de sa petite fille Pauline, emportée par la maladie, hante l’écrivain dont le travail d’écriture est sur la douleur, le désespoir, la tristesse, la solitude, la lutte, le deuil, le langage, le réel, l’écriture, la littérature. Philippe Forest pour l’avoir vécu sait de quoi il parle et sait comment communiquer dans ses récits personnels. L’oeuvre de Philippe Forest traque la vérité, la mort et l’amour, la douleur et la douceur mais aussi le deuil et le désir.
Ses livres procèdent d’une expérience de la perte, celle de de sa petite fille, et sur laquelle revient de manière toujours différente chacun de ses ouvrages depuis. Pour l’auteur c’est à travers cette expérience que l’on accède à la vérité de nos vies et où en tant qu’écrivain la question de la « survie » est une question essentielle.
Quelques livres :
« l’Enfant Eternel » évoque la mort de Pauline, petite fille de l’auteur âgée de quatre ans, et atteinte d’uun cancer des os. Ce roman engagé, comme le dit l’auteur, évoque les dernières vacances de Pauline, sa descente en enfer, son martyre de plusieurs mois, son agonie et sa mort, un jour d’avril 1996.
Rédigé d’une traite, ce roman est un bloc de violence, une plongée dans le néant, un mélodrame bouleversant dans lequel l’auteur décrit sans complaisance et avec douceur le parcours éprouvant d’un père face à la maladie de sa petite fille. Phlippe Forest ne s’épanche pas sur sa propre souffrance ni sur celle de sa femme. Sa souffrance est là, évidene, son regard entièrement axé sur sa petite fille. Il y a dans le récit, un aspect documentaire, nulle vindicte à l’égard du personnel soignant, mais une étude de la réthorique médicale. C’est un livre sur la vie, la douleur, la mort, dans lequel Philippe Forest mêle le quotidien réaliste des traitements à une réflexion plus philosophique de ce qu’il est en train de vivre, au coeur de sa cellule familiale et au sein de la société également. Il écrit de façon extrêmement juste la vie infernale des parents confrontés à la maladie grave et fatale de son enfant. Une vie qui bascule, qu’il faut réorganiser et assister impuissant à la douleur et à la déchéance de ce que vous avez de plus précieux. Sans pathos, sans dire les pleurs et les souffrances, Philippe Forest dessine aussi le portrait d’une petite fille qui vit la maladie sans se plaindre, et à la maturité stupéfiante.
Philippe Forest, en racontant la maladie et la mort de Pauline, tente de faire comprendre au travers de ce récit émouvant, que face à une telle épreuve, les mots ne sont d’aucun secours, mais cela n’empêche pas l’auteur de les faire résonner magnifiquement au sein de son roman. Il mène en parallèle une réflexion sur le roman et évoque des écrivains qui ont aussi vécu la mort d’un enfant. Ce livre superbement écrit, aborde avec pertinence la question du deuil et de l’image qui en est donnée dans la société. Un livre sublime et bouleversant : une véritable réflexion sur la vie.
« Sarinagara« , Entre Tokyo et Kobe, et à travers le portrait de trois artistes japonais, Kobayashi Issa, dernier des grands maîtres dans l’art du haïku, de Natsume Söseki, inventeur du roman japonais moderne et Yamata Yosuke, photographe, à avoir pris le premier les victimes et les ruines de Nagasaki, l’auteur entraîne le lecteur en lui faisant traverser le temps de l’existence et celui de l’Histoire. Après la perte de sa petite fille Pauline, le narrateur et son épouse partent en voyage au Japon. Ce voyage leur apporte un autre regard sur le temps et l’oublie, un apaisement.
Entrecroisant son propre destin et celui de ces trois artistes japonais, l’écrivain reconnait en eux, la même expérience de deuil, à travers la poésie, le roman et la photographie. Sarinagara signifie « cependant« , ce mot est le dernier mot d’un poème célèbre de la littérature japonaise, écrit par Kobayashi Issa, alors qu’il vient de perdre son unique enfant « tsuyu no yo wa -tsuyu no yo nagara- sarinagara« , « monde de rosée -c’est un monde de rosée- et pourtant pourtant« , dont une traduction moins artificiellement fidèle à son modèle écrirait plus simplement : « je savais ce monde -éphémère comme rosée- et pourtant pourtant« , dans le prologue de ce roman, Philippe Forest indique que tout le roman qui suit, tout ce qu’il dit de la vie tient pour lui dans le seul redoublement de ce dernier mot : « cependant« .
Ce livre est à la fois uun essai littéraire sur le Japon, sur la création ou sur les souvenirs, trois biographies émotionnelles voire davantage. C’est aussi le roman d’une rencontre entre ces trois artistes et un quatrième, le narrateur de l’histoire. Philippe Forest exprime l’infini dénuement de la mort que le désir infini de la vie. Dans ce texte, l’auteur nous propose une fable, avec ses métaphores et ses moralités, une confience personnelle, pudique et exigeante, une réflexion teintée d’une très forte émotion sur la mort et le désir d’écrire et de vivre. C’est un magnifique roman qui est tout aussi bien un poème, essai et récit intime d’un chemin de vie dans lequel l’auteur mêle son histoire personnelle à celle du Japon moderne, avec une écriture raffinée et des mots choisis dans un style sobre et limpide. Sarinagara est un livre de vie.
« Tous les enfants, sauf un » est un essai, un travail de réflexion sur la maladie de l’enfant et la mort qui s’est construite au cours des dix dernières années. En écrivant cet essai, Philippe Forest revient sur l’évènement à l’origine de son premier roman « L’enfant éternel », pour dire ce que dans le monde d’aujourd’hui peuvent signifier la maladie et la mort d’un enfant, le chagrin provoqué par la perte, l’effarement devant la vérité crue, les mythologies mensongères, le prétendu « travail de deuil », le recours à la religion et à tous ses substituts. L’auteur dépasse les fronières de la consternation, donne ses hypothèses et explications, c’est le partage d’une philosophie de la vie dont les réflexions sont forgées par une expérience dramatique à travers le vécu d’un deuil. La mort d’un enfant constitue en soi une exception à la règle de la vie.
« Le siècle des nuages« . Dans ce roman, Philippe Forest raconte le 20ème siècle à travers deux fils narratifs qui s’entremêle, la grande Histoire saisie à travers l’épopée de l’aviation et la petite histoire, personnelle et familiale à travers le destin de son père, pilote d’avion. Le récit commence sur l’invention de l’aviation et se termine avec le décès de son père. Philippe Forest passe de l’intime au collectif avec une base autobiographique rattachée à son expérience personnelle.
Philippe Forest raconte ainsi la légende de l’Aérospatiale et de ses chevaliers ‘Mermoz, Guynemer et les autres), ainsi que le portrait de son père décrit avec une mélancolie et une tendresse infinie.
Ce roman a été écrit pour rendre compte de la traversée du temps au travers du vécu d’un homme, son père, et sur la dimension historique et épique sur le 20ème siècle et l’histoire de l’aviation.
« Le nouvel amour« . Après la mort de sa fille Pauline, l’auteur s’est senti invulnérable, comme protégé par la mort, persuadé que tout était dit et écrit. Il s’interroge alors sur le mot « bonheur » et parle du temps qui travaille, et du « nouvel amour », qui renverse tout. Dans cette 4ème autofiction qui exalte phrase après phrase la puissance des sentiments, il dissèque une passion. Marié à Alice, la maman de Pauline sa fille disparue à jamais, Philippe Forest part d’un deuil absolu et irréparable et pose la question de comment vivre, quand on a fait l’expérience du néant, comment survivre ?
Des années après la mort de leur petite fille, le narrateur et son épouse se sont détachés l’un de l’autre, pour vivre chacun de leur côté un nouvel amour. L’auteur raconte par le menu de son histoire avec Lou, une femme qu’il a rencontré au moment où il n’attendait plus rien. Il évoque cette expérience de profond désespoir qui l’unit encore à Alice, d’un lien qui ressemble à l’amour, mais qui ne l’empêche pas de fondre pour Lou. Au fil des pages, Philippe et Lou vont vivre une histoire accidentée. Ce n’est pas le récit d’une banale liaison, c’est surtout le récit d’un homme qui se donne enfin le droit d’aimer après la mort de sa petite fille.
D’Alice à Lou, l’amour passe de l’inertie de la douleur partagée, à la résurrection, c’est le retour à la vie par électrochoc, c’est le coeur qui réapprend à battre et entraîne avec lui l’homme blessé qui le porte. Il décrit la folie du désir, puis la séparation et l’envie d’aimer encore. Il ne renie rien et sacrifie l’histoire réelle pour le récit d’une nouvelle autofiction, écrire pour qu’il arrive encore quelque chose, c’est le livre qui le maintient debout comme une preuve de son existence. Toujours habité par la mort de sa fille, Philippe Forest sonde le sentiment amoureux avec une rare intégrité. il découvre l’étonnement d’etre encore vivant, au travers d’une écriture lumineuse.
« Dans toute histoire d’amour, il y a ce point d’équilibre où l’on se tient un seul instant, dont ensuite reste à jamais la nostalgie, et à partir duquel on surplombe soudain tout le temps de sa vie«
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