Un spectateur peut-il changer le cours d’un spectacle ? C’est du moins l’argument du nouveau film de Quentin Dupieux : devant la représentation d’un mauvais vaudeville, un spectateur – le fameux Yannick – manifeste sans aucune gêne son mécontentement et propose aux comédiens sur scène ainsi qu’au public une alternative pour le moins incongrue.
Quentin Dupieux est un cinéaste talentueux pour surprendre le spectateur grâce à un sens inné de l’absurde. En effet, les situations invraisemblables sont légion dans tous ses longs métrages : un pneu est doté d’une vie propre dans Rubber (2010), un homme se laisse manipuler par son manteau dans Le Daim (2019) ou encore, dans Mandibules (2020), deux imbéciles heureux décident d’apprivoiser une mouche géante. L’œuvre de ce musicien-réalisateur autodidacte, partagée entre la France et les Etats-Unis, fait preuve autant d’un lâcher-prise créatif que d’un sens prononcé de l’artisanat sur le plan visuel. Yannick met en scène toutefois son action principale sous une forme plus retenue. Contrairement à son précédent film intitulé Fumer fait tousser (2022), qui multipliait les lieux, les personnages et les effets de décalage à visée comique, Quentin Dupieux se contente ici d’un nombre restreint d’acteurs ainsi que d’un espace-temps unique et linéaire, à savoir une salle de théâtre dans laquelle a lieu une prise d’otage. Cette recherche délibérée d’une forme cinématographique la plus minimaliste possible, aboutissant à un huit-clos tourné en temps réel, permet au réalisateur de tisser une tension de plus en plus croissante au fil des longs plans filmés et de jouer avec l’énergie de ses quatre acteurs principaux, dont leurs personnages respectifs sont en constante représentation face à des spectateurs perdus. Le rapport au temps dans Yannick se révèle crucial pour distiller un certain malaise, non sans quelques pincées d’humour finement provocatrices. Plus la prise d’otage dure, plus les comédiens sur la scène de théâtre font tomber les masques pour révéler leur véritable état d’esprit. Dans cette configuration particulière de l’espace-temps, la dramaturgie du film repose sur un enjeu précis : qui des comédiens jouant le vaudeville, servant prétendument la noblesse d’un art, ou de Yannick, le spectateur rebelle, réussira à capter l’attention du public ?
Yannick dévoile tout au long de sa durée un rapport de force inversé à partir du thème de l’art et de sa réception. Le réalisateur préfigure cette dynamique avec le générique de début : le titre du long-métrage, d’abord illisible puis prenant tout le cadre du plan, est à l’image du personnage éponyme, un spectateur insignifiant qui s’impose face au monde qui l’entoure. Ce dernier prend la place de l’auteur-« créateur » de la pièce jouée sur scène et interroge, par son geste, la légitimité de l’œuvre qu’il juge médiocre. L’aspect minimaliste de la réalisation renforce davantage les différents caractères en présence, dans la mesure où elle se repose presque entièrement sur les échanges entre les acteurs principaux. Le jeu en apparence plus posé des comédiens de théâtre, incarnés par Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne, se heurte à la gouaille naturelle et imperturbable de Raphaël Quenard, interprétant avec vigueur un personnage aux facettes multiples. En effet, au centre de cette tragi-comédie, se dévoile le portrait fascinant de Yannick, ce spectateur parmi d’autres qui nous est à la fois familier par son souhait d’être diverti et imprévisible dans sa manière d’y parvenir.
Quentin Dupieux est un réalisateur prolifique, semblant enchaîner les tournages les uns à la suite des autres. Yannick, en salles depuis le 2 août, fait office de « film-surprise », car il a été filmé en six jours durant la préparation d’un autre long-métrage. Derrière la simplicité apparente de sa mise en scène, le cinéaste remet en perspective l’illusion chère à la fiction, par l’intermédiaire d’un acteur-spectateur qui va s’émanciper de la pièce à laquelle il assiste. Le long-métrage, doté de dialogues percutants et d’un rythme efficace, a la capacité inouïe de jongler entre la comédie, le drame et le suspense, tout en restant captivant grâce à l’énergie incontrôlable de son personnage-vedette.
1 Comment
laurene
21 août 2023 at 17:52Bravo pour cette excellente chronique. J’ai adoré « Yannick » dont l’acteur Raphaël Quenard est excellent, touchant et prometteur !