A l’occasion de la Fête de la musique, je vous recommande un film qui vous fera vibrer au rythme d’un son endiablé. Il s’agit d’Inu-Oh de Masaaki Yuasa, réalisateur japonais qui a été révélé par Mind Game (2004). Connu pour ses expérimentations visuelles, celui-ci aborde sa nouvelle œuvre sous l’angle du film historique musical. Adapté du roman Le Roi Chien (publié aux éditions Picquier) d’Hideo Furukawa, lui-même inspiré de l’intrigue du Dit des Heike, Inu-Oh place son action dans le Japon féodal du XIVe siècle et raconte l’amitié entre Tomona, un joueur de biwa aveugle et une créature difforme baptisée Inu-Oh, personnage réel mystérieux qui est à l’origine de mythes et de légendes. L’intention de Masaaki Yuasa est de recueillir l’Histoire de son pays, évoquant la bataille navale de Dan-no-ura, qui s’est déroulée en 1185 entre les clans Minamoto et Taira, par l’intermédiaire du personnage-titre. Le réalisateur japonais souhaite aussi mélanger dans son long-métrage le style traditionnel du théâtre nô avec des sons musicaux plus modernes. Pari réussi ?
Le maître-mot qui caractérise Inu-Oh est la métamorphose, processus de révélation ô combien salvateur pour le danseur aux attributs monstrueux. Celui-ci, organisant avec son ami joueur de biwa des spectacles de danse en dehors de la troupe de théâtre nô, insuffle un rythme entraînant qui emporte les spectateurs et transfigure son enveloppe corporelle. Ce qui fait la force de ce long-métrage en particulier, c’est bien sa capacité à renouveler le style graphique, supervisé par Taiyō Matsumoto, auteur du manga Amer Béton (1993-1994), en adéquation avec le thème de l’affranchissement de l’individu face aux mœurs développé tout au long de l’histoire. Ainsi, l’animation s’assujettit à la transformation progressive de l’être difforme : elle devient hybride et imprévisible, en faisant s’entrecroiser le dessin traditionnel, le croquis, les images numériques et les impressions de couleur à la gouache. Parallèlement, la bande-son participe à cet élan au-delà des frontières en passant de la musique traditionnelle japonaise à un rock endiablé. Inu-Oh est justement à son meilleur lorsqu’il met en pause son récit pour se concentrer sur la mise en scène des spectacles musicaux. À ces instants précis, il se dégage une énergie proprement enivrante qui élève le potentiel créatif du long-métrage. Qu’elle soit jouée par les personnages ou qu’elle serve d’illustration aux images animées, la musique intervient comme un phénomène de transcendance qui fait évoluer l’aspect technique du long-métrage en même temps que la condition des deux artistes marginaux représentés à l’écran.
L’énergie fiévreuse qui émane de l’œuvre de Masaaki Yuasa vient également de son traitement du regard en animation. En effet, le respect mutuel entre Inu-Oh et Tomona se concrétise lors de leur rencontre sur un pont. Suite au refus de participer à une troupe de théâtre, le danseur au corps déformé s’amuse à effrayer les passants, en ôtant son masque en forme de poire, mais s’aperçoit que le jeune joueur de biwa, du fait de sa cécité, est le seul à le traiter comme un de ses semblables. Afin de représenter l’amitié entre ces deux personnages, la caméra adopte de manière inattendue le point de vue du personnage aveugle, fait de lignes abstraites et d’impressions de couleur. Le réalisateur prend ainsi le parti de mettre en scène une « vision au-delà du visible », laissant au spectateur le choix d’interpréter ce qu’il ressent à travers cette combinaison de couleurs, et fait de son film un spectacle sensoriel. Ce conte musical sur fond de fresque historique transcende les genres et les époques, en devenant un véritable opéra rock animé. Transgressif et insaisissable, celui-ci nous transporte dans un maelström surprenant d’images, de sons et de sensations. Entre tradition et modernité, Inu-Oh, disponible en ce moment sur MyCanal et le 26 juillet en DVD et Blu-Ray, est un long-métrage magnifique qui relie et met à l’honneur la musique et le cinéma.
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