Palme d’Or au Festival de Cannes 2019, Parasite (de son titre original : 기생충 ; Gisaengchung) est le septième long-métrage du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho. Remarqué pour l’un de ses premiers films, à savoir Memories of Murder (2003), ce cinéaste a l’habileté de détourner les codes d’un genre cinématographique pour délivrer une vision personnelle sur la société et les rapports entre les individus. Dans le cas de Memories of Murder, il s’agit d’une enquête sur une série de meurtres, menée par deux inspecteurs de police, l’un venant de la campagne et l’autre de la ville, qui se transforme en un portrait désenchanté de la justice. Inspirée de faits réels entre 1986 et 1991, l’histoire du film met en avant le conflit relationnel entre les inspecteurs aux méthodes opposées. Dans un décor fantomatique, doté d’une ambiance poisseuse, le long-métrage illustre la descente aux enfers de ces deux représentants de l’autorité face à une figure du Mal insaisissable. Après deux productions internationales (Snowpiercer – Le Transperceneige en 2013 et Okja en 2017), Bong Joon-ho retourne dans son pays d’origine pour réaliser un thriller atypique, dans lequel une famille vivant dans le besoin trouve une occasion en or pour s’immiscer au sein d’un foyer bourgeois.
Mettant en scène la cohabitation de deux communautés aux modes de vie bien opposés, Parasite joue la carte de la satire sociale avant de verser lentement vers un thriller mâtiné d’instants horrifiques. En effet, la famille pauvre de Ki-taek Kim (Song Kang-ho) élabore un stratagème afin de gagner les faveurs de celle de M. Park (Lee Sun-kyun) : le fils Ki-woo (Choi Woo-sik) intègre l’immense demeure en se faisant passer pour un professeur donnant des cours particuliers d’anglais grâce à une contrefaçon de diplôme, avant d’être suivi par sa sœur Ki-jung (Park So-dam). Le cinéaste convoque un comique de situation, servi par un découpage limpide des scènes ainsi qu’un rythme effréné, pour mettre en valeur ce jeu de faux-semblants entre des personnages qui n’auraient pas dû se rencontrer ; et ce, avant une rupture de ton déstabilisante. Cette comédie de mœurs en apparence, proche du Tartuffe de Molière, est relevée par une mise en scène ingénieuse, réorganisant les espaces filmés – entre le monde d’en haut et celui d’en bas – en fonction du parcours des personnages. Sur fond de lutte des classes sociales, Parasite traite de la dialectique entre le maître et l’esclave sous un autre angle, celui du conflit de perception. Faisant fi de tout jugement moral, Bong Joon-ho utilise le mélange des genres afin d’illustrer les rapports illusoires des uns envers les autres. De cette façon, il brouille également la perception des spectateurs, en confrontant les points de vue ambivalents des personnages, tous brillamment interprétés.
Toujours projeté dans les salles, Parasite mérite amplement le détour tant l’expérience proposée par Bong Joon-ho s’avère imprévisible et poignante. A la fois comédie noire, thriller au suspense haletant et fable sociale, ce long-métrage joue autant sur la pluralité de genres que sur les perceptions de ses personnages et de ses spectateurs. Parallèlement à Park Chan-wook (Old Boy en 2003) et Kim Jee-woon (J’ai rencontré le Diable en 2010), le réalisateur arrive à manier de manière ludique les codes de genres cinématographiques pour dépeindre un portrait amer sur les relations humaines, en traitant la figure du « parasite » comme une représentation moderne de l’aliénation sociale.
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