En ces temps où la pression du réel se fait sentir chaque jour, le nouveau film de Tim Burton, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, vient au bon moment pour nous transporter dans un univers enchanteur, où se mêlent féerie et monstruosité, pour un voyage qui fait appel à notre émerveillement le plus spontané.
Adapté d’une série littéraire jeunesse écrite par Ransom Riggs depuis 2011, ce long-métrage, détenu par la 20th Century Fox en partenariat avec Chernin Entertainment, est sorti dans les salles obscures depuis le 5 octobre. Dans un univers distordu entre le réel et le fantastique, nous suivons Jake (Asa Butterfield), un adolescent de nature réservé et incompris, bercé autrefois par les histoires de son grand-père décédé (Terence Stamp), qui part de sa banlieue en Floride jusqu’au Pays de Galles afin de découvrir le véritable passé derrière ses fables. Il y découvre pourtant un orphelinat abritant des enfants aux capacités surnaturelles et gardé par une mystérieuse gardienne du temps, Miss Peregrine (Eva Green).
Miss Peregrine et les enfants particuliers est un roman, classé dans la littérature pour ados et édité par Bayard Jeunesse, justement fascinant grâce à un charme mystérieux entretenu par l’hybridité de son support. Explorateur en même temps que collectionneur de photos, l’auteur américain Ransom Riggs propose à son éditeur Quirk Books de créer un livre-photo intitulé « Creepy Kids », ayant acquis des portraits d’enfants bien étranges. Il reçoit l’autorisation d’écrire une histoire autour de ces images. Riggs dit à ce propos « Ce sont les photos qui ont créé l’histoire » (entretien sur le blog « La Bibliothèque de Glow ») et touche en une phrase la force de son récit intrigant, qui est l’audace d’avoir fait de ces clichés le fil conducteur d’une histoire pleine d’imagination. En tissant un parallèle entre Histoire et fiction, le roman capture le pouvoir de fascination de l’image, objet de découverte qui alimente notre soif insatiable d’imagination. S’il peut accuser la présence d’inconvénients inhérents à un premier tome (phase de découverte, exposition au milieu de l’intrigue, introduction à un second volet), le premier livre de Ransom Riggs sait charmer le lecteur grâce à un univers captivant, à la lisière de plusieurs genres tels que le fantastique, le conte et la science-fiction, ainsi qu’un ton marqué de mystère et de mélancolie.
Traitant du rejet de la différence, du temps qui passe et de nos peurs les plus primaires, le roman sied au premier abord à l’univers onirique de Tim Burton, également père d’enfants insolites dans son recueil de poèmes La Triste Fin du Petit Enfant-Huître. C’est ce que pense en tout cas la directrice de la 20th Century Fox, Jennio Topping, lorsqu’elle contacte le cinéaste à la coupe iconoclaste pour lui demander de porter à l’écran cette histoire d’enfants reclus à l’intérieur d’un orphelinat hors du temps. Burton est conquis par cette œuvre, notamment par « cette ligne un peu trouble désormais entre fantaisie et réalité » (Journal « Sud Ouest » du mercredi 5 octobre 2016).
Il aura fallu cinq ans de développement à Tim Burton et son équipe pour transposer à l’écran cette adaptation truculente d’un livre aussi curieux. Coutumier des univers fantasmagoriques, le réalisateur d’Edward aux mains d’argent débute pourtant son long-métrage dans la représentation la plus banale du réel, avec une vie de banlieue en Floride sans saveur. Se focalisant sur les sentiments du personnage principal vis-à-vis de sa relation avec son grand-père, la réalisation de Burton joue sur une distorsion du réel par la mise en valeur d’un élément qui provoque la fertilité de notre imagination. Ainsi, la forêt, représentée comme ténébreuse et secrète, ainsi que le changement de lieu deviennent des motifs enchanteurs sous la caméra de Tim Burton, vecteur de passage au sein d’un monde d’un autre temps. C’est précisément le départ de Jake sur les traces du passé de son grand-père au Pays de Galles qui fait basculer progressivement le long-métrage dans une voie plus onirique. Tout comme le livre, le film brille par la scénographie de son univers. Fonctionnant par un contraste avec le sentiment maussade que laisse le monde réel sur Jake en même temps que le spectateur, le manoir de Miss Peregrine, placé sous un jour chatoyant, ravit l’œil du public grâce à son esthétique séduisante, entre un cadre victorien somptueux, des costumes atypiques et une ambiance paisible. La Maison des Enfants Particuliers, dont le tournage s’est déroulé en Belgique, est particulièrement mise en valeur, surplombant le ciel et faisant égal avec la nature. Elle est à la fois symbole de protection et de mort pour ses jeunes habitants, car elle est coincée éternellement dans un temps révolu. L’implication du temps est renforcée par la musique de Mike Higham et Matthew Margeson, efficace mais manquant de thèmes forts comme le livre Danny Elfman, car cette mélodie utilise la mécanique d’une horloge pour souligner la course contre le temps à laquelle se livre Jake. Burton choisit de privilégier le plus d’effets pratiques dans son long-métrage pour rendre cet univers tangible, notamment en tournant majoritairement dans des décors réels. Il privilégie surtout la dimension féérique de son film afin de renforcer une imagerie poétique. De cette manière, les capacités des enfants se manifestent de belle manière et donnent des instants de poésie véritablement remarquables, tels qu’une magnifique mise en abyme du cinéma avec la projection des rêves ou une séquence aquatique envoûtante.
A travers des cadres millimétrés et une photo soignée signée Bruno Delbonnel, la mise en scène de Burton arrive avec une certaine élégance à nous emporter dans un monde enchanté, teinté de poésie et de mystère. Visuellement époustouflant, l’univers de Miss Peregrine étonne par sa créativité et par sa capacité à renouveler ses propres trouvailles.
Si le long-métrage Miss Peregrine nous éblouit à l’aide de sa maîtrise technique et artistique, il sait surtout raviver la flamme d’émerveillement qui se cache au fond de nous, en proposant un divertissement familial sincère et dépaysant. Avec le scénario écrit par Jane Goldman, habituée aux adaptations littéraires (Stardust, Kick-Ass, La Dame en Noir), le génie de Burbank met en scène une véritable adaptation de l’histoire originale de Ransom Riggs, respectant la trame principale ainsi que l’esprit tout en réinventant la structure de l’univers dans une perspective cinématographique. Si l’adaptation du livre est des plus convenables, quelques écueils se font ressentir pendant le visionnage : la longue introduction du film pose efficacement les bases de son monde créé mais se retrouve mêlée par la suite à quelques incohérences dans la temporalité de l’action et à des transitions maladroites au montage. Cependant, rien ne gâche l’immersion dans cette histoire magique, mise en scène comme une fable noire poétique. Ayant pour intention de revenir aux fondements du conte, Burton réussit à marier de manière virtuose les instants de poésie merveilleuse avec les moments d’effroi. Le chatoyant foyer pour enfants particuliers se confronte souvent brutalement à l’aura sinistre des Sépulcreux, croque-mitaines tentaculaires sortis des cauchemars d’enfants. La distribution s’intègre parfaitement à l’atmosphère douce-amère de ce film singulier : on retient principalement une galerie de jeunes acteurs talentueux, épaulés par l’alchimie entre Asa Butterfield et Ella Purnell, Eva Green intrigante dans le rôle de Miss Peregrine, une « Scary Poppins », d’après le réalisateur, au caractère intransigeant mais à l’âme protectrice, ainsi que Samuel L. Jackson en roue libre dans la peau d’un démoniaque gentleman carnassier, dont la loufoquerie se rapproche du cradingue esprit frappeur Beetlejuice. Dans cette ambiance où se disputent lumière et obscurité, le cinéaste profite du média audiovisuel pour étoffer un peu plus son long-métrage, en glissant ses influences avec les thématiques propres au livre. On retrouve la verve de trublion de Burton, quand il se fait plaisir à insuffler un peu de folie horrifique, évoquant l’expressionisme allemand en jouant avec les ombres, dans un film annoncé familial, notamment au détour d’une bataille démesurée en pleine fête foraine enneigée. Burton retrouve son amour pour l’artisanat ; en magicien de l’illusion, il crie sa passion pour l’animation image par image, à travers des séquences surprenantes en hommage à Ray Harryhausen (Jason et les Argonautes). Il intègre avec justesse son humour délicieusement macabre à la poésie mélancolique grâce à l’usage de ruptures de ton, comme l’irrésistible générique de début. Mais on retrouve avant tout Burton le conteur des temps modernes, usant des paraboles de l’exclusion pour nous rappeler de faire de notre différence une force qui définit ce que nous sommes individuellement. Ce qui est finalement touchant dans ce joli film fantastique, c’est qu’il dépeint en premier lieu l’humanité de ces enfants derrière leur monstruosité apparente. Attaché aux monstres rejetés, le cinéaste amateur de films d’épouvante décrit sa découverte de l’univers de Riggs : « Quand j’ai lu le bouquin, je me suis senti complètement en phase avec ses thèmes et ses personnages, en particulier celui de Jake et ces enfants qu’on appelle « particuliers ». » (Journal « Sud Ouest » du 5 octobre). En mettant en scène le voyage initiatique d’un garçon incompris de son entourage et d’une famille d’enfants maudits à la Freaks, le long-métrage est construit par un message de tolérance émouvant, visant à accepter ce que nous sommes malgré les préjugés.
A la lisière du rêve et du cauchemar, le nouveau film de Burton joue avec une dynamique de conte de fées traditionnel, n’hésitant pas à passer de la lumière à l’obscurité et à bousculer les attentes pour mieux surprendre le public. C’est un spectacle baroque, dans la mesure où l’imaginaire la plus débridée contamine le réel, qui amusera et étonnera petits et grands.
A travers des réflexions sur l’indépendance, le désir de se démarquer ou de s’intégrer au monde, les effrois primaires et les contes transmis à travers les générations, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers est une belle aventure cinématographique qui stimulera l’envie de rêver à petits et grands. La poésie étrange de ce conte féérique devient admirable lorsque la composition de scènes lyriques côtoie l’inquiétante étrangeté, en rappelant l’importance de nos différences. Dans cette histoire à la fois mélancolique et entraînante, malgré un rythme bancal, on sent à chaque séquence du film le plaisir débordant de Tim Burton, sorte de conteur burlesque qui n’hésite pas à effrayer et émerveiller son public. C’est cette alliance entre douceur et noirceur qui font de ce voyage cinématographique un délice enfantin fait de bric et de broc, mélangeant les techniques numériques et pratiques avec aisance et douce folie. Evadez-vous en salle dans l’univers onirique de Miss Peregrine, qui invite à retrouver notre émerveillement d’enfant !
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