Cela faisait longtemps que le Pays des Merveilles n’avait pas fait son retour sur grand écran. Et pour cause, la suite du film arrive six ans plus tard, avec Tim Burton seulement à la barre de la production. Refusant de réaliser cette suite, c’est James Bobin, réalisateur de Muppets, le retour en 2011 et Opération Muppets en 2014, qui reçoit la tâche de faire revivre le Pays des Merveilles initié par Burton.
En s’assurant de respecter une continuité avec le premier long-métrage, ce jeune cinéaste reprend tous les acteurs précédents ainsi que l’essentiel de l’esthétique baroque de Burton. Le scénario étant déjà prêt, Bobin exige des réécritures afin de mettre en perspective une autre vision possible du monde imaginaire d’Alice.
Vendu comme une adaptation du second livre de Lewis Carroll paru en 1871, intitulé De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva, le long-métrage n’a pourtant peu de parité avec le matériel de base. Le livre de Carroll développe un monde inversé, une fois passé à travers le miroir. Ainsi, Alice doit courir pour rester sur place, manger un biscuit sec si elle est assoiffée et elle va à la rencontre de personnages qui se souviennent de leur avenir et non de leur passé. C’est également une quête identitaire de la jeune Alice à travers l’allégorie du jeu d’échecs et le conflit entre les Reines Rouge et Blanche. Dans ce long-métrage, la figure du jeu d’échecs est remplacée par une course contre la montre à travers le temps. Suite directe du premier film qui s’assumait en tant que suite fantasmée des livres, Alice de l’Autre Côté du Miroir met en scène Alice (Mia Wasikowska) qui doit affronter les épreuves du Temps, en lâchant prise l’héritage de son père dans le monde réel et en assistant à la mort lente d’un Chapelier fou déprimé (Johnny Depp). De nature rebelle, la jeune femme s’oppose au Maître du Temps (Sacha Baron Cohen), en lui volant un objet puissant lui permettant de remonter dans le passé du Pays des merveilles.
Autant le dire tout de suite : le film de James Bobin n’emprunte que très peu d’éléments au livre prétendument adapté, tels que la traversée de l’autre côté du miroir. Bobin laisse un peu de côté une phase d’exploration de ce pays merveilleux au profit d’une aventure menée tambour battant à travers de multiples univers et de moult évènements. C’est un parti-pris risqué, lorsque nous nous rendons compte que le motif du voyage dans le temps sert de prétexte à ré-exploiter les personnages principaux du premier film, le Chapelier fou ainsi que les deux Reines, en explorant leurs passés. En résulte des évènements qui peuvent laisser indifférents, tant l’exploration des secrets du Pays des Merveilles nuit un peu à l’étrange folie qui émane de ses habitants. Si la relation ambigüe entre les deux Reines et la raison de la mélancolie du Chapelier peuvent sembler intrigantes, les parties consacrées au voyage dans le temps, souffrant d’un rythme trop rapide pour accrocher le spectateur à toutes les situations, ont tendance à aplatir le charme déjanté du Pays des Merveilles, tout en prenant à certains moments un virage trop pris sérieusement pour un univers aussi fantaisiste (la raison de la haine de la Reine Rouge envers sa petite sœur, le conflit entre le Chapelier et son rustre de père, etc.). Le long-métrage tombe malheureusement dans des ficelles prévisibles, voire verse dans la mièvrerie durant son épilogue. Il n’est finalement pas plus aidé par le peu de temps consacré à la galerie irrésistible du Pays des Merveilles, composée du Chat du Cheshire, du Lièvre de Mars, du Lapin Blanc ou encore des jumeaux Tweedles, une distribution très moyenne dans les rôles secondaires et une réalisation qui manque souvent d’ampleur.
Pourtant, malgré ces défauts handicapants, la suite du long-métrage de Burton, réalisée par Bobin, propose des idées intéressantes et déploie une esthétique colorée très impressionnante par son aspect truculent.
Alice de l’Autre Côté du Miroir est moins sombre que le premier film. Il ne présente pas de créatures effrayantes, ni de têtes coupées et encore moins un paysage imprévisible. Néanmoins, James Bobin insuffle une inventivité visuelle proche du surréalisme. L’environnement plus flashy nous évoque davantage la représentation que nous attendons du Pays des Merveilles, c’est-à-dire un paysage haut en couleurs relié par de curieux accès comme des portes au milieu du ciel. Le long-métrage possède un facteur plus enchanteur, là où le premier film présentait un univers plus ténébreux en accord avec le règne de terreur dirigé par la Reine Rouge. En témoigne le traitement de la personnification d’un concept abstrait moteur du film ; le Temps, élément le plus mémorable du film. Idée amenée par le réalisateur lui-même, le Temps omniprésent tend à crédibiliser malheureusement le monde imaginaire d’Alice, mais de manière contradictoire fonctionne assurément en tant qu’élément pur de conte. L’omnipotence du Temps, être mi-humain mi-mécanique, au sein du Pays des Merveilles apporte toute une continuité entre le visuel et les thèmes du film. Des symboles graphiques sont clairement significateurs d’une prise de conscience du temps qui passe à l’âge adulte : le Chapelier fou mourant perd littéralement ses couleurs, devenant un personnage extrait d’une photographie en noir et blanc, tandis que la présence menaçante de la rouille évoque l’oubli de toutes choses en même temps que le chaos de la pensée. L’attraction du long-métrage se révèle être l’incarnation du Temps et le monde auquel il est rattaché. Personnage neutre dans l’histoire, le Temps stimule à la fois notre acuité grâce à tout un mécanisme d’horloge qui compose son être ainsi que notre curiosité par son aspect intimidant et retors. Grâce à l’interprétation enlevée de Sacha Baron Cohen, acteur caméléon hors-pair et ami personnel du réalisateur, ce personnage guindé arrive à être attachant par certaines trahisons de son aspect imposant, notamment une sensibilité incontrôlable. Tout le monde temporel régissant autour de lui fait preuve d’idées plaisantes et sied à merveille la dimension merveilleuse du long-métrage.
En continuité avec le film de Tim Burton tout en réussissant à proposer des idées intéressantes rafraîchissant le pays merveilleux, Alice de l’Autre Côté du Miroir est une suite qui souffle le chaud et le froid, entre un univers renouvelé de façon convaincante autour du thème du temps qui passe et un manque d’audace dans certaines situations dramatiques, faisant perdre le panache de l’aventure à travers le temps. Cependant, malgré un parti-pris risqué, le long-métrage de James Bobin est recommandable, rien que pour la direction surréaliste de l’univers auréolé d’un Sacha Baron Cohen démentiel en incarnant le Temps.
No Comments