Au milieu des vacances d’été, période de sortie de tous les films événements à gros budget (Les Gardiens de la Galaxie de l’écurie Marvel par exemple), un petit film australien est sorti discrètement dans les salles, titré The Babadook en anglais. C’est le premier long-métrage écrit et réalisé par Jennifer Kent, auréolé du prix du jury, de la critique et du public au Festival International du film fantastique de Gérardmer 2014.
L’histoire repose sur une relation conflictuelle entre une mère anglaise, Amelia (Essie Davis), et son fils Samuel (Noah Wiseman), tous deux affectés de manière différente par la mort accidentelle du père. Samuel ne joue plus avec les autres enfants à cause de son comportement imprévisible. Il vit dans l’univers des contes et fait passer des nuits blanches à sa mère juste pour vérifier si des monstres rôdent sous son lit ou dans son placard. Celle-ci lui fait lire un mystérieux ouvrage dans lequel un personnage menaçant aux doigts tranchants, nommé le « Babadook », aimerait rentrer dans les maisons pour capturer les enfants. Traumatisé par cette histoire, le petit garçon ne cesse d’affirmer que cette créature existe réellement, tandis que la mère est à bout de nerfs.
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Jennifer Kent a débuté dans le milieu du cinéma en commençant en 2003 par un court-métrage intitulé « Monster », racontant la même histoire avec une poupée comme monstre de cauchemar. La réalisatrice considère ce premier pas comme le point de départ pour réaliser le film suivant.
Mister Babadook reprend le concept d’un esprit hantant une maison mais dépoussière le mythe en faisant interagir la créature avec la relation entre la mère et son enfant. Là où les films d’horreur actuels se réduisent de plus en plus à une série de scènes-chocs où l’horreur s’agite constamment devant la caméra, le monstre n’est ici que très peu présent. Effet tout à fait déconcertant quand on remarque que le long-métrage porte comme titre le nom de la créature en question. Pourtant, ce choix est tout à fait intéressant dans la manière où les deux intrigues de l’histoire – la découverte du monstre et le conflit terrifiant entre les deux personnages principaux – se lient à mesure que le film avance. Kent ne présente pas ici une horreur visible à nos yeux, mais la rend palpable à travers notre imagination. Ainsi, les méthodes pour effrayer le public (bruits qui parasitent le silence, cri monstrueux, paranoïa d’une chose qui nous observe) sont très classiques mais restent plus ou moins efficaces.
Si les effets ne marchent pas tous, la cinéaste assume la décision de repartir vers une approche plus classique du film d’épouvante. C’est pourquoi la direction artistique de ce long-métrage emprunte le style des premiers films d’épouvante marquants, à savoir l’expressionisme allemand connu au cinéma à travers Robert Wiene (Le Cabinet du docteur Caligari) ou Fritz Lang (M Le Maudit, Metropolis) qui sont placés en références directes. Comme l’avait fait Friedrich Murnau dans Nosferatu le vampire, Jennifer Kent intensifie dans son film la présence des ombres. La maison familiale, censée être l’endroit chaleureux pour l’enfant, est transformée en un décor sinistre, parsemé d’ombres et plongé dans les ténèbres, en contraste avec la lumière du monde extérieur. Ce décor est sous l’emprise du Babadook, monstre infernal dont son apparence mystérieuse apporte une autre interprétation à l’histoire. Le Babadook se manifeste à travers les yeux de la mère, meurtrie par le décès de son mari, et laisse supposer être la part d’ombre cachée au fond de la mère, interprétée de manière saisissante par Essie Davis. Si on interprète le film avec cette vision-là, le long-métrage peut être considéré comme un drame psychologique. A la manière de Stephen King, célèbre auteur de Shining et de Ça, Jennifer Kent se focalise avant tout sur les personnages, leurs douleurs personnelles et leur relation avec le monde extérieur, afin de faire resurgir des peurs issues de l’enfance (le monstre sorti du conte, par exemple) pour en saisir l’impact immédiat.
Si son premier long-métrage n’est pas exempt de défauts (effets spéciaux peu convaincants, rythme souvent mal géré, fin mal amenée, etc.), Jennifer Kent livre une œuvre séduisante grâce à sa volonté de revaloriser une approche plus classique de la terreur. En empruntant le cachet visuel des films d’épouvante muets et en réinterprétant la figure du monstre qui hante les cauchemars des enfants, la réalisatrice australienne dépeint une histoire terrible sur le deuil et sur la peur de l’autre, deux thèmes qui s’incarnent en la présence fascinante du Babadook à travers les pages dessinées d’un livre diabolique et plusieurs séquences surréalistes étonnantes dans lesquelles la maison est déformée par sa seule présence.
The Babadook (ou « Mister Babadook » en français) est imparfait mais mérite tout de même l’attention tant il réussit à capter la manière de mettre en scène une terreur invisible rattachée à nos peurs d’antan.
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