Peut-être avez-vous déjà vu lors d’un cours d’histoire cette image d’une jeune femme dressée devant une armée entière brandissant une simple hachette ?
On sait peu de chose de Jeanne de Laisné, future épouse Fourquet, surnommée Hachette pour ses faits d’armes, même si la ville de Beauvais abrite encore aujourd’hui en son centre une immense statue de celle qui résista victorieusement à Charles le Téméraire. La légende se mêle ici étroitement à l’histoire, presque autant que pour une autre Jeanne, qui fut sa contemporaine, la célèbre Jeanne d’Arc.
Le contexte historique est en tout cas véridique : En 1472, le duc de Bourgogne Charles le Téméraire, rival du roi Louis XI, a envahi le nord du royaume de France où il ravage sans pitié villes et villages. C’est alors qu’il avance avec une armée de 80 000 hommes vers la ville picarde de Beauvais. Le 27 juin 1472, il arrive devant les remparts de la ville. Les habitants sont terrifiés. Pas de garnison, des remparts en ruines et peu élevés, la partie semble jouée d’avance. Mais c’est sans compter sur le courage des habitantes de la ville. Pris de panique plusieurs hommes tentent de s’enfuir et notamment l’évêque de la ville, bientôt rattrapés par des villageoises prêtes à en découdre avec l’ennemi. Les villageoises dépavent les rues et font pleuvoir une nuée de pierres sur les assaillants, plusieurs d’entre elles saisissent piques et haches et se hissent sur les remparts. Les Bourguignons sont accueillis par une détermination de vaincre sans faille.
C’est alors qu’entre en scène une jeune femme de dix-huit ans qui deviendra le symbole du courage des femmes de Beauvais, Jeanne Laisné, fille d’un modeste artisan: « La porte était enfoncée, peu ou point de soldats pour la défendre. Mais les habitants se défendaient, les femmes vinrent se jeter sur la brèche avec les hommes, la grande Sainte Agadrême (sainte patronne de la ville), qu’on portait sur les murs, les encourageait ; Jeanne Laisné se souvient de Jeanne d’Arc » relate le grand historien Jules Michelet dans son Histoire de France.
Jeanne monte sur les remparts et plante sa hachette dans le crâne d’un bourguignon prêt à planter son étendard. Galvanisés, les habitants de la ville se déchaînent et réussissent finalement à repousser l’ennemi, qui pour la première fois doit battre en retraite, stoppé net dans sa progression.
Le 22 juillet 1472, après onze heures de combats acharnés, Beauvais est sauvé et le royaume de France par la même occasion.
Quelques jours plus tard, c’est l’armée royale et le roi Louis XI, pourtant bien en retard, qui franchissent la porte de la ville de Beauvais en grande pompe. Pour consacrer son héroïque défense, le roi accordera de nombreux privilèges à la ville de Beauvais. Il met notamment en place La fête de l’Assaut, célébrée le jour de la saint Agadrême, le dernier week-end de juin. Lors du défilé à travers la ville les femmes précèdent les hommes en souvenir de la glorieuse conduite de Jeanne Hachette et des habitantes de la ville. Les femmes obtiennent également le grand privilège de porter les mêmes vêtements que les dames de la noblesse: « Toutes les femmes et filles qui sont à présent et seront à tout jamais de ladite ville se pourront, le jour de leurs noces, et toutes autres fois que bon leur semblera, parer, vêtir, et couvrir de tels vêtements, parements, joyaux et ornements que bon leur semblera, sans que, pour ce, elles puissent être aucunement notées, reprises ou blâmées, de quelque état ou condition qu’elles soient. » Jeanne et son futur époux seront également exemptés d’impôts à vie, privilège non négligeable.
Si l’action des femmes de Beauvais a bien été décisive, les exploits de Jeanne Hachette, voire son existence même, sont aujourd’hui fortement mis en doute. Il est vrai que l’épisode de l’exploit de cette jeune fille armée de sa hachette n’est pas relatée avant le 17ème siècle. Il semble que son surnom lui ait été donné bien après les faits. Pourtant les lettres royales et tous les biographes modernes de Louis XI la mentionnent et semblent attester sa véracité. Son existence revient au premier plan en 1920 lors de la canonisation de Jeanne d’Arc, elle devient alors le pendant laïc de la Pucelle catholique. Le débat des historiens ne semble pas terminé.
Cependant le combat des femmes de Beauvais et de Jeanne Hachette reste pour la plupart un moment de bravoure intense dans l’histoire de France et un fait avéré : « Toutes les femmes de la ville se montrèrent si vaillantes en ce siège qu’elles ont surmonté toute la hardiesse des hommes de plusieurs villes » rapporte le chroniqueur Loysel. C’est donc en toute justice que l’on peut rendre hommage à ces combattantes d’un jour et de toujours, et c’est ce que fit notamment le roi Louis XI. Encore aujourd’hui vous pouvez leur rendre hommage lors de la Fête de l’Assaut, mais si vous êtes un homme vous devrez rester en arrière du cortège…
A voir :
Le miracle des Loups de Raymond Bernard, 1924
Au départ film muet tourné sur les remparts de la ville médiévale de Carcassonne, il fut sonorisé en 1930. Ce fut un événement cinématographique en son temps où le tout Paris, et même le président de la république Gaston Doumergue, se précipita pour la première à l’Opéra. Pour l’époque il s’agit d’une super-production qui demanda des milliers de figurants , des centaines de chevaux, des loups de Russie et une quinzaine de caméras. Le film historique issu d’un roman de Henry Dupuy-Mazuel est une chronique du règne de Louis XI qui patiemment rassemble les morceaux du royaume de France, le fameux siège de Beauvais est le moment crucial du film.
A Lire :
Pierre César Renet, Beauvais et Beauvaisis dans les temps modernes, Genève 1977, p.550 – 628, Jeanne Hachette, sa personnalité historique.
Yannick Resch, 200 femmes de l’histoire, des origines à nos jours, 2011
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