Peut-être n’êtes vous pas au courant, mais on raconte qu’au Moyen-âge, plus exactement au IXème siècle une femme aurait régné au Vatican travestie en homme. Durant des siècles la légende de la papesse Jeanne s’est propagée à travers l’Europe et l’Église elle-même n’a jamais renié ce fait avant le XVIème siècle. Aujourd’hui la plupart des historiens s’accordent à dire que la papesse n’a jamais réellement existé bien que quelques traces écrites en fassent référence. Quoi qu’il en soit une femme au Vatican aurait pu être une révolution, notamment en des temps où la femme était vue comme la descendante d’Ève, et donc pécheresse par excellence. Des temps où la femme n’avait jamais accès à des postes de pouvoir et même bien souvent à une bonne éducation. Laissez-moi donc vous conter l’histoire d’une vraie légende médiévale : celle de la papesse Jeanne.
L’ Histoire :
L’histoire de la papesse varie un peu selon les biographies médiévales, n’oublions pas qu’il s’agit d’une époque où les sources ne sont pas toujours certaines et, à quelques mots près, voici ce qu’on en disait : la papesse Jeanne serait née en 822 en Mayence, en Allemagne, et plus précisément à Ingelheim, et aurait des origines anglaises. Très tôt cette jeune femme éprise de savoir comprend que si elle veut accroître ses connaissances elle va devoir se travestir en homme. Et c’est ce qu’elle fait, et plus précisément en moine. A l’époque, le clergé est le grand détenteur du savoir, ce sont des hommes qui savent lire et écrire et bien souvent les abbayes et églises possèdent d’importantes bibliothèques. Elle prend donc l’habit de moine et, toujours selon la légende, s’éprend d’un jeune moine qu’elle va suivre à travers toute l’Europe. Sous la robe monacale, elle étudie en Angleterre, puis en Grèce et dans d’autres pays européens. Elle est studieuse, très intelligente et la réputation de son érudition l’amène à Rome où elle devient secrétaire d’un Cardinal puis du pape Léon IV en personne. Elle impressionne grandement par son savoir et continue de progresser sous ses habits d’homme, au point où elle se fait elle-même nommer cardinal par le pape. A la mort de celui-ci en 855, Jeanne est élue et monte sur le trône pontifical sous le nom de Jean VIII l’Angélique. Elle se montre digne de sa tâche, le peuple l’aime jusqu’à un tragique accident : En avril 858, au cours d’une procession, le pape s’écroule, se tord de douleur devant une foule hébétée et laisse apparaître entre ses cuisses un enfant !!! Horreur ! Le pape accouche devant ses fidèles. Le subterfuge est révélé et la jeune femme et son enfant auraient été tués par la foule en colère. Ainsi s’achève tragiquement le règne de Jeanne la papesse.
La légende :
Scandale au sein de l’Église catholique, une femme a sa tête ! La légende se répand partout en Europe mais c’est à partir du XIIIème siècle qu’on en retrouve des traces écrites. C’est sous la plume du dominicain Jean de Mailly, dans ses Chroniques Universelles, qu’on en retrouve la première mention, avec une annotation qui en dit déjà beaucoup : «à vérifier». Lui-même doute, mais il se réfère à une source bien précise : sur une pierre à l’endroit où aurait accouché la papesse, on retrouve six fois la lettre P, ce qui voudrait dire : Pierre, Père des Pères, Publie la Parturition de la Papesse, en d’autres termes La Papesse a accouché, L’Église l’atteste.
Quelques années plus tard un certain Martin Polonus publie Chronicon Pontificum, une Histoire des pontifes où il fait de la papesse un récit bien concret. La légende devient un fait. De nombreux autres écrivains ou théologiens s’emparent de l’histoire, comme Pétrarque ou Boccace, et chacun rajoutera des anecdotes sur l’histoire de la papesse, y mettant sa petite touche et contribuant à la confusion entre la réalité et la légende .
Autre fait important, l’histoire de la papesse aurait laissé des traces au sein de l’Eglise et des rites pontificaux. Pour que cela ne se reproduise plus jamais, on raconte que les papes devaient se livrer à un curieux rite, celui de la vérification des attributs masculins. A partir de l’an mille environ, les papes devaient s’asseoir sur un siège de porphyre troué en son milieu pendant qu’un diacre vérifiait par en dessous que les attributs masculins étaient bien présents. Il devait dire Habet duos testiculos et bene pendantes, qui signifie il y’en a deux et qui pendent bien… Donc il est digne d’être pape… On peut toujours voir ces étranges chaises percées au Vatican, qui n’auraient jamais servi à cela, bien entendu, mais encore une fois la légende et la réalité se confondent…
La Papesse remise en cause :
A partir du XVIème siècle, la donne change, l’Église, qui jusque là n’avait jamais remis en cause l’existence de Jeanne, renie son existence. En effet, elle est la cible de nombreuses attaques de la part des anglicans et des protestants qui voient en elle beaucoup trop de dérives, l’histoire de Jeanne en étant le parfait exemple. Pour se moquer de Rome des pseudo-biographies de Jeanne sont rédigées par des anglicans ou des protestants, comme Histoire de la papesse Jeanne et des putains de Rome. Cette fois l’histoire de Jeanne est remise en cause par Rome et par de nombreux érudits qui creusent la question.
A l’heure actuelle la plupart des historiens s’accordent à dire que la papesse Jeanne n’a jamais existé et qu’il est difficile de savoir comment une rumeur de cette ampleur a pu se propager. La thèse la plus commune viendrait du pape Jean VIII qui régna en 872. Considéré comme trop faible et trop laxiste (et peut-être homosexuel) pendant son règne, notamment face aux Ottomans, il aurait été surnommé la papesse Jeanne dans certains documents. Le reste, l’accouchement notamment, n’aurait été que fantaisie populaire. Voilà comment un surnom aurait changé l’histoire. Le mythe de Jeanne garde tout de même quelques défenseurs, car des zones d’ombres persistent : la succession du pape Léon IV n’est pas très claire, on fait mention d’un Benoît III qui aurait régné entre 855 et 858 mais que personne n’aurait jamais vu en public… Le fait que l’Église ai mis plusieurs siècles à repousser ce mythe, ou encore que le trajet officiel des processions fut changé après 858, évitant soigneusement la rue où l’accouchement aurait eu lieu…
Aujourd’hui la papesse a presque été oubliée, on ne la retrouve plus que dans le jeu du tarot marseillais où la carte de la papesse tient un rôle important.
Quoi qu’il en soit, cette histoire, bien qu’étrange, laisse à réfléchir… Une papesse… et bien pourquoi pas? Je vous avoue que j’ai très envie d’y croire… Une femme aux commandes de l’Église, elle qui pendant des siècles a stigmatisé les femmes, serait un juste retour des choses! Dans cet univers ô combien masculin, une femme ne serait peut-être pas de trop. L’histoire de la papesse fait encore couler beaucoup d’encre et attire les artistes par son voile de mystère. Certains pensent que le Vatican cacherait de nombreux documents sur la papesse et l’aurait juste rayé de l’Histoire. Alors à vous de voir… La papesse, mythe ou réalité??
A lire:
- Alain Boureau : La papesse Jeanne, Formes et fonctions d’une légende au Moyen-Age, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres, 1984
- Alain Boureau : La papesse Jeanne, Aubier, Collection historique, 1988
- De façon plus romancée vous aimerez peut être aussi La papesse Jeanne de Danna Cross, 1996 .
- La Papesse Jeanne, roman médiéval, traduit par Alfred Jarry et Jean Saltas de l’œuvre grecque d’Emmanuel Rhoïdes (plus difficile à trouver)
A voir:
Documentaire, Dossiers secrets, la papesse Jeanne
Bande annonce du film La papesse Jeanne, sortie en novembre 2010
Crédit photo : Wikipedia
1 Comment
Fluffy
6 août 2013 at 0:09J’ai envie d’y croire. De croire qu’une femme a réussi à tous les berner et à leur prouver qu’elle pouvait le faire !