Époustouflant, remuant, passionnant, ce sont les mots qui me viennent à l’esprit en fermant mon livre de chevet du moment, A l’Est d’Eden de John Steinbeck. Quatre grandes parties, plus de 600 pages selon les éditions, pas d’avant propos, un gros pavé qui ne donne pas envie d’emblée et pourtant le bouleversement est total.
A l’est d’Eden, c’est une fresque magnifique sur plusieurs générations qui se passe dans la vallée de la Salinas en Californie (lieu de naissance de Steinbeck). A l’est d’ Eden fait directement référence à un épisode de la Bible: Lorsque Caïn tua son frère Abel, il se réfugia à l’est d’Eden. Tout commence avec les familles Hamilton (d’origine irlandaise) et Trask. Nous allons suivre leurs tribulations, leurs espoirs, échecs, petites victoires, et grandir par la même occasion avec eux.
Le Bien et le Mal tiennent un grand rôle dans ce chef d’oeuvre mais pas au sens manichéen du terme, Steinbeck, analyse, décortique l’âme humaine et nous montre qu’ils sont tous les deux en nous. Un mot hébreux tient une place importante dans le livre Timshel, qui signifie tu peux. Il nous explique que le libre arbitre, l’indépendance, la libre pensée sont essentiels à l’Homme. Ils dénoncent le début de l’ère de la pensée unique et même de consommation de masse. En même temps que l’on voit les personnages évoluer, on voit la région de la Salinas (et à plus grande échelle les États-Unis) changer avec l’avènement de l’industrie automobile par exemple. Les personnages de Steinbeck ainsi que la région décrite, qui est presque un personnage à part entière, sont comme des cobayes, des échantillons que l’auteur analyse finement pour démontrer qu’à plus grande échelle cela se vérifie également. L’oeuvre est également atemporelle, et même si elle se passe entre 1870 et 1918, les thèmes évoqués, les phrases et le style de l’auteur sonnent résolument modernes.
La famille Trask est composée de Cyrus le père, un fermier- militaire qui bâtira toute sa vie sur le mensonge et l’escroquerie – et de ses fils Adam et Charles. Tout commence avec l’opposition des deux frères, Adam est autant chétif et rêveur que Charles est violent et brusque. Une relation d’amour-haine née entre eux. Pour l’amour du père, par jalousie, envie ? Les deux frères ne seront jamais sur la même longueur d’ondes bien qu’un véritable amour profond les unit et malgré la violence de Charles contre Adam, seul dialogue qu’il maîtrise vraiment. Un jour, alors qu’ils ne vivent plus qu’à deux dans la ferme après le décès de leur parent, une femme blessée frappe à leur porte. Cathy est aussi jolie qu’elle est un monstre froid. Elle séduit bien vite Adam qui décide de l’épouser et de l’emmener en Californie, la Terre Promise.
Dans la vallée de la Salinas, naîtrons leurs jumeaux Caleb et Aaron aussi différents que l’étaient Charles et Adam. Cathy ne sera jamais une mère pour eux préférant son indépendance, elle deviendra gérante de’une maison clôse et laissera Adam dans une profonde léthargie. Nous suivront les aventures de Sam Hamilton, philosophe, fermier et inventeur, toujours en avance sur son temps, toujours prêts à rendre service aux autres et éternellement pauvre. Accompagnée de sa petite femme austère Liza et de ses neuf enfants, ce personnage haut en couleur éclaire l’śuvre de toute son bon sens, sa générosité et sa bonté naturelle. L’une des cinq filles de Sam Hamilton, Olive, épousera un certain Ernest Steinbeck et on comprend que le jeune narrateur John, le fils d’Olive n’est autre que l’auteur. L’śuvre est en partie autobiographique. Le serviteur d’Adam, Lee, aura également une place centrale dans le livre. D’origine chinoise, ce serviteur philosophe, élèvera presque seul les jumeaux et sera un soutient sans faille pour Adam quand celui-ci reviendra à la vie. Symbole de sagesse, il deviendra un membre à part entière de la famille. Je ne peux pas tout vous raconter, ce serait bien trop long, je me suis déjà beaucoup laissée aller. Je vous laisse découvrir les interactions entre les personnages, l’importance de chaque petits détails, le balancement de l’âme humaine entre le bien et le mal et toutes les réflexions pleines de justesse de Steinbeck. Je vous laisse suivre avec tendresse, effroi, dégoût et colère toutes ces âmes torturées que nous décrit Steinbeck et qui a grande échelle nous ressemble tant, à nous tous.
A l’Est d’Eden est un chef d’oeuvre, il n’y a pas d’autre mot, et cela fait du bien de temps en temps de se plonger dans un classique de cette envergure. Style, ambiance, description, analyse, personnages, tout est là. Steinbeck réussit à étudier l’âme humaine dans toute sa complexité. C’est tout simplement époustouflant.
Lorsque l’on referme le livre, on a l’impression d’avoir appris sur soi et surtout on a ce sentiment de tristesse qui nous envahit car nous devons dire au revoir à des personnages que l’on a vu grandir, changer, évoluer, des personnages dont on a visité les tréfonds les plus obscurs et pour qui beaucoup de tendresse est née. Nous devons dire au revoir à des amis et revenir à la réalité.
Vous pouvez également admirer James Dean dans l’un de ses plus grands rôles au cinéma dans l’adaptation d’Elia Kazan de A l’Est d’Eden en 1955 (adaptation de la quatrième partie uniquement).
Quelques citations:
Voici ce que je crois: l’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté pour l’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai: toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité.
Pour l’homme né sans conscience, l’homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule.Pour le voleur ,l’honnêteté n’est qu’une faiblesse. N’oubliez pas que le monstre n’est qu’une variante et que, aux yeux du monstre , le normale est monstrueux .
» Il parait qu’il y a longtemps , l’homme vivait dans les arbres.
Il a fallu que l’un deux ne soit pas satisfait de son état, sans cela, à l’heure qu’il est, vos pieds ne toucheraient pas le sol. »
Peut-être le savoir est-il trop grand, mais peut-être aussi l’homme est-il trop petit, dit Lee. Peut-être qu’à force de s’agenouiller devant les atomes il finit par avoir une âme de la taille de ce qu’il adore. Peut-être le spécialiste n’est-il qu’un lâche qui a peur de regarder le monde extérieur à sa petite cage. Pensez à ce qu’il perd, votre spécialiste : le monde entier qui palpite de l’autre côté de sa clôture.
J’aime mes collines poussiéreuses, dit Samuel. Je les aime comme une chienne aimerait son petit éclopé. J’aime chaque silex, chaque pierre qui casse le soc de nos charrues. J’aime l’humus maigre et nu. J’aime le cśur sec de mes collines, car quelque part dans ce tas de poussière il y a la richesse.
5 Comments
Sandrine
16 juillet 2013 at 7:08J’aime beaucoup Steinbeck, j’ai lu plusieurs fois « Les raisins de la colère » alors je ne sais même pas pourquoi je n’ai pas lu celui-là. Merci pour cette enthousiasme.
Kantu
15 juillet 2013 at 13:52J’ai aussi lu et absolument adoré ce chef d’oeuvre! La profondeur des personnages, le sens de l’observation et l’humanité de Steinbeck sont remarquables… Certainement un de mes romans préférés de ce grand auteur!!
auroreinparis
15 juillet 2013 at 13:27J’ai ressenti la même chose après l’avoir lu il y a quelques années. J’ai eu le sentiment de découvrir une oeuvre majeure et je l’ai dévorée et aimée comme peu de livres il est vrai. J’avais adoré Des souris et des hommes mais celui-ci m’a accompagnée véritablement.
Très belle critique !
Célestine Causette
15 juillet 2013 at 12:11Sublime roman, c’est vrai! Je suis une fan inconditionnelle de Steinbeck, son roman « Des souris et des hommes » est une pépite également!
Célestine :)
Insane Vanilla
15 juillet 2013 at 11:43Hello ! Ton article tombe à pic car je viens juste de terminer le livre. J’ai beaucoup aimé ce que tu as dit, car c’était si bien dit :) J’ai également adoré ce livre, l’histoire de ces personnages, mon seul regret étant que j’aurais aimé que le livre continue afin de connaître la suite ! Ce qui est également intéressant, c’est que l’histoire est réelle (ou basée sur des faits réels, au dialogue près), et même proche de l’auteur. C’est mon troisième Steinbeck et je ne suis pas déçue ! Par contre j’hésite à voir le film (basé apparemment sur les jumeaux). Bonne journée à toi ! Kiss