Ben est sans doute un des artistes les plus connus du vingtième siècle. Ou tout au moins son écriture arrondie, le plus souvent en blanc sur fond noir. Et si j’ai employé l’expression « sans doute », ça n’est pas par hasard. L’homme a inauguré à Blois sa « Fondation du Doute ». Celui qui affirme que « Douter, c’est créer » a apporté dans les murs de l’école des Beaux Arts une histoire du mouvement Fluxus, en même temps qu’il y crée un lieu d’échange autour de l’art.
Cette histoire du Fluxus, Ben l’a relatée à l’aide de l’immense collection de Gino di Maggio. Sur deux étages, les principaux acteurs du mouvement sont réunis à travers leurs œuvres. Sans queue ni tête, drôle ou dérangeantes, elle trace le portrait d’un courant de pensée qui n’en est pas un , puisqu’il il a pour but de cerner les limites de l’art, comme nous l’a confié Ben lors de l’inauguration de la Fondation du Doute :
« Je me suis toujours intéressé aux limites de l’art. Quand Piero Manzoni a fait ses boîtes de merde d’artiste, je me suis demandé si c’était de la vraie merde ou pas et j’ai trouvé ça génial. Il y a un type qui peignait tout en bleu, qui disait que c’était de l’art et qui s’appelait Yves Klein. Formidable ! Un qui a peint un carré blanc sur un fond blanc et qui s’appelait Malevitch. Excellent ! Un autre qui a exposé dans un musée un porte-bouteille qu’il avait acheté au BHV, c’était Duchamp. Magnifique. Jusqu’au jour où on m’a dit qu’un type clignait de l’œil. J’ai dit : quoi ? Un type cligne de l’œil ? Mais c’est extraordinaire ! Alors j’ai pris l’avion et je suis parti le rencontrer. »
C’est ainsi que Blink, de John Cavanaugh, est devenu une des premières vidéos relatives au mouvement Fluxus. Comme de nombreuses autres œuvres présentées, elle pourrait être considérée comme une fumisterie. Fluxus s’est toujours attaché à la recherche de la nouveauté, dans le sillage d’un Marcel Duchamp qui a déboussolé la notion d’œuvre d’art avec ses ready-made. Au point que la nature même du produit est en question. « Je me pose souvent la question de savoir si ce que je fais, c’est de l’art ou si je me fous de la gueule du monde. Et je n’ai pas la réponse ! C’est une grande question : Est-ce que Fluxus se fout de la gueule du monde ? »
Qu’il s’agisse d’art visuel ou de musique, Fluxus est partout. Ben se souvient d’un concert du minimaliste John Cage… « Un jour, il s’est pointé pour un concert. Il y avait un piano sur scène, il est venu et a joué ce qu’il a appelé une note triste. Le public a applaudi, il en a déduit qu’il aimait ça. Il a dit : je vais jouer une note encore plus triste ! Il a appuyé sur une autre touche du piano et il s’est barré. Il faut être gonflé pour ça, c’est se foutre de la gueule du monde ! » Et Ben de nous jouer une performance acoustique Fluxus en s’appuyant des deux bras sur un piano en même temps que son compère…
S’il est une salle qui permet de saisir mieux que les autres l’esprit Fluxus dans la Fondation du Doute, c’est sans surprise celle de Ben. Les œuvres écrites ont une lecture instantanée, sans détour. Ici, le recherche de nouveauté est une obsession qui transparaît de très nombreuses fois dans les textes aux lettres arrondies. Selon Ben, la nouveauté st ce qui fait l’art, au même titre que l’identité d’un peuple. Aujourd’hui, cette nouveauté manque à l’art. « Aujourd’hui, l’art pédale dans la semoule ! Mais je ne sais pas si je dis ça parce que j’ai raison ou parce que je suis jaloux du succès de certains de mes petits camarades. »
Un constat sans détour et teinté d’ironie, pour un homme qui affirme que la principale limite à dépasser dans l’art est celle de l’égo. Ce raisonnement a mi-chemin entre génie et fumisterie est l’essence même de Fluxus, pour qui la vie elle-même est art. C’est ainsi que tout un chacun est appelé à participer à la Fondation du Doute. Un ring est disponible pour des combats d’idées sur l’art contemporain et une salle de mail art offre ses pinces à linge pour accrocher des cartes postales venant du monde entier. Contrairement à bien d’autres mouvements, très cadrés, Fluxus cherche encore et toujours. Son esprit n’est pas enfermé dans une époque ou un thème. Fluxus est art, tout simplement. C’est Ben qui le dit…
3 Comments
laurence
11 mai 2013 at 9:24génial ette fondation du doute, encore plus génial l’artiste Ben ! Merci pour cet article.
Nicolas Meunier
10 mai 2013 at 13:23Le nom en lui même vient du latin qui signifie flux, courant. Quant à l’idée derrière le mouvement… C’est une sorte d’impertinence comme l’est le dadaïsme. Démythifier l’art pour le rapprocher de la vie et en chercher les limites.
Mzalbil
8 mai 2013 at 18:57Je viens de découvrir savemybrain, via un compte twitter, le nom m’a attiré. En lisant cet article je ne suis pas déçu d’être venu jeter un coup d’oeil !
J’ai un peu de mal à saisir le sens de « Fluxus », il y en a-t-il vraiment un?