Le 21 avril 2013, Spirou fêtait ses 75 ans. Quand nous parlons de Spirou, il s’agit tout autant du personnage que du Journal éponyme. Pour l’occasion, l’éditeur Dupuis a mis les petits plats dans les grands, avec un hommage par le biais d’auteurs les plus divers, des rééditions et un album inédit, intitulé Dans les Griffes de la Vipère. Nous ne pouvions passer à côté de cet anniversaire et nous sommes partis à la rencontre des auteurs du célèbre groom, avant de visiter l’exposition qui lui est consacrée à la Bibliothèque de Versailles, en forme de duel avec le Journal de Tintin…
75 ans, voilà un âge respectable dont bien peu de héros de bande dessinée peuvent se targuer. Bien souvent en effet, les héros de BD ne survivent pas à leur créateur. Ce n’est pas le cas de Spirou, qui a su évoluer sous les plumes de nombreux scénaristes et dessinateurs.
Tout a commencé en 1938. Les revues américaines de comics étaient alors sans concurrence et Jean Dupuis trouvait que leurs histoires ne coïncidaient pas avec ses valeurs morales et éducatives. L’idée d’un journal équivalent, mais avec un style qui correspondait à l’esprit belge d’alors germa dans sa tête. La rencontre avec Robert Velter, alias Rob-Vel, fut le point de départ du Journal de Spirou. Jean Dupuis voulait un personnage jeune garçon vif d’esprit et Rob-Vel le dessina sous la forme d’un groom, hommage à un petit mousse du paquebot Ile de France, decédé lors d’une chute lors de son service, que l’auteur avait rencontré, lui-même exerçant cette fonction.
Au départ, Spirou (dont le nom signifie écureuil en wallon) était le centre de courts gags. Il en fut toujours ainsi sous la plume de Rob-Vel, puis de Jijé qui reprit le personnage par la suite. Entre temps, un autre journal concurrent fit son apparition, avec un succès qui allait également perdurer au fil des ans : le Journal de Tintin, qui fête également ses soixante-cinq ans cette année. Ce double anniversaire est l’occasion d’une exposition en forme de duel à la Bibliothèque de Versailles.
En effet, outre les fameux héros qui leur lèguent leurs noms, ces deux périodiques ont vu la naissance de nombreuses séries BD, parmi les plus célèbres. Jerry Spring, Lucky Luke, Les Schtroumpfs ou encore l’Agent 212 ne sont que des exemples des parutions du Journal de Spirou. Chez Tintin, on a répliqué avec Blake et Mortimer, Clifton, Alix ou Ric Hochet… Ceux-ci ne sont que des exemples parmi tant d’autres et seul Franquin a collaboré en même temps dans les deux journaux.
C’est d’ailleurs de la plume d’André Franquin que viendra la principale métamorphose de Spirou. De gags courts, le groom passe à des aventures au scénario plus fouillé, qui s’étalent sur la longueur d’un album. Si Fantasio est l’œuvre de Jijé, tous les autres personnages récurrents de la série sont l’œuvre de Franquin, également à l’origine d’un style de dessin radicalement différent. Ce sont d’ailleurs les albums de Franquin qui servent aujourd’hui de référence à Yoann et Fabien Vehlmann pour l’élaboration des derniers albums (lire notre interview plus bas).
Car évidemment, il n’y a pas d’anniversaire sans nouvel album. Dans les Griffes de la Vipère constitue le cinquante-troisième tome des aventures de Spirou et Fantasio, et le troisième signé par Yoann et Vehlmann. Celui-ci se distingue par un scénario d’une certaine finesse, où le pouvoir de l’argent y apparaît maître. Le Journal de Spirou se fait racheter par un groupement financier véreux, où Spirou devient prisonnier par contrat. Ne lui reste plus qu’à tenter de s’échapper de ce nid de vipères, seul ou presque contre une organisation toute puissante. Le style se situe dans la lignée de Franquin et les personnages récurrents sont au complet. En bref, malgré une fin un peu rapide par rapport à la lente et agréable montée en puissance de l’intrigue, le lecture de cet album apparaît comme un vrai plaisir. Dans les griffes de la Vipère fait honneur à l’héritage de Spirou. Voyons maintenant comment les auteurs se situent par rapport à leurs prédécesseurs…
Comment en êtes-vous venus à reprendre les rênes de Spirou ?
Yoann : Ca a été assez long et ça s’est fait en deux phases. Tout d’abord, quand Tome et Janry ont définitivement arrêté après sept ans sans production, Dupuis s’est mis à la recherche d’un scénariste. Fabien Vehlmann était alors une jeune scénariste qui montait et ils lui ont donné carte blanche pour un essai sur Spirou. Fabien m’a alors contacté pour le dessin. A l’époque, chez Dupuis, il y avait plein d’éditeurs avec, forcément, plein d’avis différent. C’était un peu le foutoir et Morvan et Munuera ont été choisis sans qu’on soit réellement prévenus. C’est alors que Dupuis a lancé les one shot en parallèle et on a fait avec Fabien le premier de la série, qui s’appelle Les Géants Pétrifiés.
Fabien Vehlmann : C’était en quelque sorte notre lot de consolation…
Y : Au bout de leur contrat de trois ans, Morvan et Munuera n’ont pas été reconduits. C’est à ce moment là que Dupuis nous a confié la série.
Deux auteurs qui ont besoin de sauver leur cerveau…
Comment vous êtes-vous réappropriés le personnage de Spirou ?
Y : On a repris exactement ce qu’on avait fait dans le one shot mais en plus classique, en référence à Franquin.
F. V. : Le déclencheur, ça a été une chronique pour les soixante-dix ans du magazine, où Spirou revenait à la rédaction. Ca s’appelait Back to the rédac et on a choisi une voie plus classique, avec une retour du costume de groom. Cette idée du retour du costume ne vient pas de Dupuis mais elle nous semblait nécessaire, eu égard au passé de Spirou.
Y : Graphiquement, il a fallu se réapproprier le rythme et l’humour. Pour nous, la synthèse d’une aventure de Spirou, c’est de l’humour, de l’aventure et une pointe de fantastique. Charge à nous de suivre cette ligne.
Comment innovez-vous pour garder la nouveauté des scénarios inédits ?
Y : Spirou vit dans son époque. Il y a donc tout l’aspect matériel qui l’entoure, qui permet de dater. Il y a aussi les rapports sociaux et à l’information, qui font que tout est plus vite accessible. Aujourd’hui, si une femme est lapidée, le monde entier est très vite au courant et cela paraît très proche.
F. V. : Et cela nous donne une contrainte dans la crédibilité des scénarios. On ne peut plus faire un épisode e Série B dans une contrée imaginaire ou un continent perdu. Tout de suite, notre petit lecteur se demanderait comment ça n’a pas été repéré par un satellite. Il faut trouver un équilibre, parce que ces Séries B, c’est tout de même jouissif. C’est pour ça que le tome 52 se passe sur la face cachée de la Lune. Dans le tome 53, on remet les choses à plat, avec l’argent pour problématique. L’histoire est plus crédible et ça nous évite d’avoir à faire gober des couleuvres énormes à notre lecteur. Parce que même avec des milliardaires, le resort sur la face cachée de la Lune, c’est totalement impossible ! Pour le prochain, ça parlera d’une quête archéologique dans un pays en guerre. De quoi mêler l’aspect Indiana Jones et l’aspect problématique contemporaine. Concernant les futurs albums, on a des idées, quelques directions. Mais on ne veut pas tomber dans la routine, ça serait chiant. Les rails sont là, mais une idée de scénario qui nous vient ne sera pas forcément pour le prochain ni celui d’après.
Les personnages du Journal de Spirou ont-ils une influence sur Spirou ?
F. V. : A une époque, oui. Mais plus de la même manière maintenant. Quand j’étais ado, j’aimais lire Soda, son costume de pasteur… Aujourd’hui, les autres séries n’ont plus d’influence. Je suis juste content de voir cohabiter de bonnes séries de qualité dans le Journal.
Notre magazine s’appelle Save My Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?
F. V. : Il faut arrêter les mails pendant une semaine. C’est un truc qui m’explose !
Y : Ben moi, je n’ai pas de cerveau, il est déjà cramé. Peut-être des vacances dans la nature…
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