Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard
Dans ce sonnet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, Ronsard ne donne pas d’Hélène une image très élogieuse. Il la décrit comme une vieille femme, qui approche de la mort. Ce poème peut être lu comme un memento mori : certains objets font référence à la brièveté de la vie. La chandelle est un objet qui se consume très vite ; quant au verbe « filant », il rappelle l’activité des trois Parques, sœurs de la mythologie grecque, qui déroulent le fil pendant la vie d’un homme et le coupent au moment de sa mort. Si Ronsard rappelle à Hélène que bien vite elle deviendra vieille, c’est pour la convaincre d’accepter l’amour qu’il lui offre.
Néanmoins ce poème n’est pas uniquement un carpe diem. C’est en réalité une réflexion sur le rôle du poète et de la poésie que nous livre Ronsard. Ronsard appartient au mouvement poétique de La Pléiade, qui regroupe sept jeunes poètes (notamment Joachim Du Bellay), et dont les objectifs sont ambitieux : enrichir la langue française et prouver qu’elle est aussi belle que le Latin et le Grec ; affirmer le caractère sacré du poète et de la poésie. En effet, si Hélène a tout intérêt à accepter l’amour du poète, c’est parce que ce dernier lui permettra de devenir immortelle, grâce à sa poésie. La poésie est donc un art qui offre la possibilité d’échapper à la mort, et le poète est dès lors un être exceptionnel, doté d’un pouvoir quasi divin.
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