Chaque mois, le poème du mois vous fait découvrir les dessous d’un poème célèbre. Cette fois-ci un extrait du recueil de Victor Hugo, Les Contemplations.
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
Pour en savoir plus…
Ce poème a été publié dans le recueil Les Contemplations en 1856, mais Victor Hugo l’a écrit le 3 septembre 1847, soit la veille d’un triste anniversaire : le 4 septembre 1843, la fille aînée de Victor Hugo, Léopoldine, s’est noyée alors qu’elle faisait une promenade en barque sur la Seine avec son époux, près de Villequier. Le jeune couple était fraîchement marié, et Léopoldine n’avait que 19 ans. Ce tragique événement marque une rupture dans l’existence de Victor Hugo, qui ne publiera aucun texte pendant dix ans et se consacrera à sa carrière politique : il est élu Pair de France en 1845, député à l’Assemblée Nationale en 1848. C’est pendant ses longues années d’exil qu’il recommence à publier, faisant entendre, depuis Guernesay, sa voix indignée : il fustige l’Empereur dans Napoléon le Petit, lutte contre l’injustice sociale dans Les Misérables. Mais il entreprend également un recueil qui revient sur les événements marquants de son existence : Les Contemplations est divisé en deux parties : « Autrefois » et « Aujourd’hui », autrement dit : avant et après la disparition de Léopoldine.
Ce poème, que tous les écoliers se rappellent certainement avoir appris en classe, est souvent mal compris. Là où chacun perçoit la douleur profonde d’un père anéanti par la mort de son enfant, peu apprécient l’espoir qui se dégage de ces quelques vers. Le poème est en effet encadré par deux mots qui connotent la joie, la vie, l’avenir : « demain » et « fleurs ». Par le pèlerinage qu’il s’apprête à entreprendre, et surtout par le poème qu’il écrit, Victor Hugo parvient à retrouver sa fille. Le poème est en réalité la promesse d’une rencontre, le « je » et le « tu » se trouvent rapprochés, entremêlés dans les vers 2, 4 et 11. Après quatre années d’une souffrance qui ressemblait souvent à de la folie, comme le dit Hugo dans un autre poème des Contemplations (« Oh ! je fus comme fou dans le premier moment »), le poète vit maintenant son deuil de manière plus apaisée, plus intériorisée. Si la douleur ne disparaîtra bien sûr jamais, Hugo est convaincu qu’il existe des moments où il peut communiquer avec sa fille disparue : lors de ses pèlerinages à Villequier, sur la tombe de Léopoldine ; lors des séances de tables tournantes auxquelles il se prêtait à Guernesay (oui, Victor Hugo croyait aux Esprits !) ; et surtout, grâce à l’écriture, qui fixe et rend éternels les instants fugitifs de l’existence.
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