Elle commence par la folk mais c’est vers la country rock qu’elle bifurquera, réconciliant deux genres qui avaient jusqu’à l’orée des années 70 bien du mal à cohabiter… Curieuse destinée que celle de Emmylou Harris, indissociable de celle de son mentor, Gram Parsons, la légende trop tôt disparue de la musique country folk. Si cette grande dame de la musique américaine se fait connaître en reprenant les chansons de son ex partenaire tout comme celles d’autres talentueux artistes qui l’ont précédé, celle-ci produira, les années passant et les fantômes exorcisés, son propre répertoire riche d’expérimentations et de fructueuses collaborations. Plein phare sur une auteure-compositrice-interprète à la croisée des genres !
Greenwich Village
Fille du militaire de carrière, William Harris, Emmylou naît le 2 avril 1947 à Birmingham (état de l’Alabama), mais grandit en Caroline du Nord et en Virginie. Sous la bonne garde de sa mère Eugenia, la fillette vit une enfance modèle, en collectionnant les A, bien loin de se douter des affres de la guerre. Après une scolarité exemplaire, celle-ci intègre l’University of North Carolina at Greensboro, où elle commence sérieusement à étudier la musique, en s’essayant au répertoire de Pete Seeger, Bob Dylan et Joan Baez. Afin de vivre sa passion pleinement, la jeune fille déménage à New York pour se produire dans les cafés de Greenwich Village, en travaillant à côté comme serveuse. Celle-ci se marie en 1969 avec un certain Tom Slocum, compositeur, avant de sortir l’année suivante son premier album folk, Gliding Bird… Fraîchement divorcée, s’installe avec ses parents et sa fille, Hallie, dans le Maryland.
Harris n’en démord pas moins de ses rêves de gloire et se produit en compagnie de formations locales. C’est justement au cours d’une certaine soirée de l’année 1971 que l’ancien Byrds, Chris Hillman remarque le talent de la chanteuse/musicienne. Après avoir pensé l’intégrer à son nouveau groupe, The Flying Burrito Brothers, Hillman préfère la recommander à son ancien comparse musical, Gram Parsons, alors en quête d’une choriste pour son premier album solo, GP. Intégrée au groupe qui l’accompagne pour sa tournée de l’année 1973, les « Fallen Angels », Harris devient la protégée de Parsons qui l’initie à la musique country traditionnelle ainsi qu’au style qu’il tente de populariser, la country rock. Une rencontre qui fait date dans l’histoire du rock.
Mais cette merveille d’harmonie ne trouvera pas le temps de s’épanouir. Le 19 septembre 1973, Parsons est retrouvé mort par une overdose de drogues et d’alcool dans sa chambre d’hôtel… Emmylou est dévastée : commence alors pour elle une nouvelle ère sans son Pygmalion dont elle essaiera de réinterpréter à sa manière la sensibilité musicale, avec comme garde-fou, Grievous Angel et Sleepless Nights, dernières marques de leur collaboration, sorties de manière posthume en 1974 et 1976. La vie de Harris n’en sera plus jamais la même, à l’image d’une de ses chansons les plus connues « Boulder to Birmingham » qui en évoque à demi-mots la douloureuse perte, tout en gardant la force d’avancer et d’en perpétuer la mémoire, à travers les décennies. Morceaux choisis de sa discographie.
Avec ou sans Parsons
Premier album réalisé sous la major Reprise Records, Pieces Of The Sky est la sensation de l’année 1975. Furieusement éclectique intégrant aussi bien des standards de Nashville que des reprises des Beatles, celui-ci contient également la signature du jeune auteur-compositeur texan Rodney Crowell, premier d’une longue lignée d’artistes que Harris révélera. Et déjà pour elle, un premier grand titre : “If I Could Only Win Your Love ». Distribué à la fin de la même année, Elite Hotel prouve que le succès n’était pas démérité avec comme des singles mythiques caracolant en tête des ventes country (« Together Again », « Sweet Dreams » et « One of These Days ») et enflammant par la même occasion les rockeurs de cœur. Sa popularité allant croissante, celle-ci commence à nouer des collaborations artistiques avec Linda Ronstadt, Guy Clark, Neil Young, ou encore Bob Dylan.
En 1977, Luxury Liner signe sa plus belle réussite commerciale, en mélangeant les titres de Chuck Berry « (You Never Can Tell) C’est La Vie »), Gram Parsons (« Luxury Liner » et « She »), The Carter Family (« Hello Stranger ») ainsi que Kitty Wells (« Making Believe »). Méprisée à l’époque par le grand public, la country y gagne des galons, ne serait-ce qu’avec la reprise du classique de Townes Van Zandt, « Pancho & Lefty ». Léger changement de direction entamé l’année suivante avec Quarter Moon in a Ten Cent Town qui fait la part belle aux compositions écrites par Delbert McClinton ou Dolly Parton. Avec Blue Kentucky Girl, lauréat d’un Grammy Award en 1979, Harris amorce un virage vers le traditionnel, confirmé avec le bluegrass triomphant de Roses In The Snow, lancé l’année d’après. Serait-ce son récent mariage avec le producteur Brian Ahern et la naissance de sa deuxième fille Meghann qui l’aurait transformée ?
La décennie 1980 sera pour Emmylou autant synonyme de tradition que d’expérimentations, en misant dans un premier temps sur la reprise du célèbre « Mister Sandman » présent sur Evangeline (1981), avant de basculer deux ans plus tard avec White Shoes sur des réinterprétations rock de « Diamonds Are a Girl’s Best Friend » et du hit de Donna Summer « On the Radio » ! Qualifié d’ « opéra country, The Ballad of Sally Rose (1985), produit par Paul Kennerley (ndlr : compositeur et musicien anglais, son mari de 1985 à 1993) est certainement son œuvre la plus personnelle mais également un échec cuisant. La consécration commerciale sera au rendez-vous de l’année 1987 grâce au tant attendu Trio, aux côtés de ses amies Dolly Parton et Linda Ronstadt, avec un nouveau Grammy à la clé ! Etonnement, celle-ci trouve encore le temps de sortir en solo presque simultanément un florilège de chansons gospel, Angel Band.
A l’image du boudé Cowgirl’s Prayer (1993), les années 90 s’avéreront moins clémentes pour la chanteuse, délaissée par les médias qui lui préfèrent le mouvement « new country ». Propulsé sur le devant de la scène musicale en 1995, Wrecking Ball (abrégé en WB) sera quant à lui le boulet de canon qui attirera un public inconnu, celui des fans de rock alternatif, qui n’avaient même jusqu’ici jamais écouté un seul de ses disques. Produit par le canadien Daniel Lanois (qui a auparavant travaillé avec U2, Peter Gabriel et Bob Dylan), cet album expérimental propose une relecture des morceaux les plus connus de Neil Young, Steve Earle (« Goodbye ») ou Jimi Hendrix, entre autres (« May This Be Love »). Edité en 1998, l’album Spyboy bouclera quant à lui la décennie.
En digne successeur de WB, Red Dirt Girl s’impose comme le nouvel événement de l’année 2000 avec de nombreuses chansons écrites de la main de Emmylou. 1 Grammy Award pour le Meilleur Album Folk Contemporain pour la peine. Après Stumble Into Grace (2003) et l’édition de The Very Best Of Emmylou Harris : Heartaches & Highways (2005), il faudra attendre la sortie de All The Roadrunning (2006) pour pouvoir apprécier le fruit d’une collaboration de longue haleine avec Mark Knopfler. Acclamé à sa sortie en 2008, All I Intended To Be fera quant à lui honneur aux contributeurs Buddy Miller, Dolly Parton ou encore les sœurs folkeuses canadiennes, Kate et Anna McGarrigle.
Dure négociation
Folk, country rock, country, bluegrass, rock, pop, alt-country… Difficile de cantonner à un genre bien précis celle qui se joue de toutes les étiquettes musicales. Par contre, ce que l’on peut lui reconnaître, c’est le tour de force d’avoir réuni amateurs de musique country et fans de rock dans le même public, le sien ! Car qui, autre que Harris, aurait pu mieux populariser le country rock, là même où Gram Parsons avait précédemment tenté, sans le succès escompté de son vivant… Dépositaire du patrimoine musical de cet artiste disparu trop vite, Emmylou sera à l’origine d’un album hommage en son honneur, Return of the Grievous Angel: A Tribute to Gram Parsons, où celle-ci chantera aux côtés d’une douzaine d’artistes tels que Beck, Sheryl Crow ou encore The Pretenders.
Auteure-compositrice de son propre répertoire et interprète de celui des autres, Harris est aussi, si l’on ne le savait pas encore, une choriste et partenaire de duo privilégiée : après Gram Parsons bien sûr, Linda Ronstadt, Roy Orbinson, Dolly Parton, Mark Knopfler, Bob Dylan, Rodney Crowell,et Neil Young, l’artiste s’est également ouverte à la jeune génération, personnalisée entre autres par Tracy Chapman et Ryan Adams. Quant aux bandes-sons de films, il y a bien évidemment le film O’Brother (2000) des frères Coen, où son nom figure au générique ficelé par T-Bone Burnett ainsi que Cold Mountain (2003) réalisé par Anthony Minghella, pour lequel celle-ci reprend la chanson « The Scarlet Tide » de son ami Elvis Costello. Même les albums hommage ne seront pas en reste avec une participation, quatre ans plus tard, au Tribute To Joni Mitchell !
Cela nous ferait presque oublier que Emmylou possède également une âme d’activiste, à en juger par ses participations récurrentes à la référence nord-américaine en matière de concerts féministes, Lilith Fair ainsi que dans l’humanitaire, en organisant chaque année depuis 1999 des concerts dénonçant les ravages des mines anti-personnelles (ndlr : Concerts for a Landmine Free World). Membre actif de la PETA, celle-ci tient également un refuge animalier à Nashville. Avec à son actif 12 Grammy Awards, 3 Country Music Association Awards, et entre autres honneurs, l’obtention en 1999 du Billboard’s Century Award, celle-ci fait son entrée en 2008 au Country Music Hall of Fame, l’année suivante à l’American Academy of Arts and Sciences tout en recevant un doctorat en musique honorifique du Berklee College of Music…
Que lui restait-il encore à afficher à ce prestigieux palmarès ? Eh bien, un nouvel album, baptisé Hard Bargain, dans les bacs depuis avril dernier, le 26 plus précisément. 26 comme le 26e album studio sorti à ce jour, fort de 11 chansons travaillées avec le talentueux compositeur Will Jennings, touchant à la fois au plus intime comme à l’universel. S’y côtoient pêle-mêle, les fantômes de Gram Parsons (« The Road ») et de Kate Mc Carrigle (« Darlin Kate »), les nouvelles joies d’être grand-mère (« Goodnight Old World ») mais également l’un des crimes les plus horribles de la ségrégation raciale aux Etats-Unis (« My Name Is Emmett Till »). Une honnêteté sans faille, servie par une célébrité sans fard, qui n’a pas pris une ride malgré la marche du temps.
« Je pense qu’à un certain moment de votre vie, vous avez besoin de regarder en arrière vers toutes ces années passées afin de célébrer ou remercier les personnes dont vous avez croisé le chemin et qui vous ont changé à tout jamais. C’est ce qui s’est passé avec Gram, j’ai essayé de me mettre à sa place et de continuer pour lui. […] La vie continue et se déroule devant vous mais ces personnes et évènements qui vous ont changé à tout jamais vous accompagneront toujours. C’est un évènement important qui a déterminé la trajectoire de ma vie et, plus qu’autre chose, de mon travail ». (http://www.emmylouharris.com/elhAbout.html)
Car sans Parsons, point de glissement de la folk vers la country et peut-être pas cette identité musicale si particulière…
(Les photos proviennent de http://www.myspace.com/emmylouharris)
Sources
Sites internet
http://www.emmylouharris.com/
http://www.emmylou.net
http://www.gramparsons.com/
http://www.myspace.com/emmylouharris
Articles
Emmylou Harris Bio : http://www.emmylouharris.com/elhAbout.html
Emmylou Harris pays tribute to Gram Parsons on new album : http://www.rollingstone.com/music/news/emmylou-harris-pays-tribute-to-gram-parsons-on-new-album-20110607
An exclusive interview with Emmylou Harris : « Time is light when I’m making music » : http://www.huffingtonpost.com/jesse-kornbluth/an-exclusive-interview-wi_b_853605.html
Awesome exclusive interview with Emmylou Harris : http://www.diablomag.com/D-blog/Petes-Popcorn-Picks/September-2010/Awesome-Exclusive-Interview-with-Emmylou-Harris/
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