Avec son biopic sur Harvey Milk, le premier homme politique américain ouvertement gay, élu conseiller municipal à San Francisco en 1977, et assassiné un an plus tard, Gus Van Sant frappe fort. Finie la période ado-expérimentale (Gerry, Elephant, Last Days et Paranoid Park), avec « Milk » (titre original) le réalisateur revient à un cinéma plus accessible, plus « grand public ». Mais pas forcément de moins bonne qualité, loin de là. Car « Harvey Milk » est sans conteste un film clé dans l’histoire du cinéma américain, et mondial. Un film essentiel, porteur d’un message crucial, à l’heure où, en Californie, la proposition 8, abrogeant le droit aux homosexuels de se marier, vient de passer…
« Son courage a changé des vies. Sa vie, a changé l’Histoire. »
Le film s’ouvre sur un Harvey Milk assis seul dans sa cuisine. Il enregistre sur cassette ses huit dernières années, les plus importantes de sa vie, précisant que l’enregistrement devra être écouté en cas de mort par assassinat. La menace plane déjà. Harvey sait que ses jours sont en danger.
Pour lui, tout commence réellement en 1970, à New York. Courtier en assurance, il est sur le point de fêter son 40ème anniversaire. Entre deux métros, il croise un jeune homme sublime, il le drague, et le ramène chez lui. Scott. Confidences sur l’oreiller, il est minuit, Harvey a maintenant 40 ans, et il n’a pas fait une chose dont il peut être fier. Scott lui rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour changer de vie, et lui lance qu’il a besoin de voir autre chose, de se faire de nouveaux amis. Les amants quittent alors la grosse pomme pour San Francisco. Ils emménagent dans le quartier où, à l’époque, les gays affluaient des quatre coins du pays pour vivre leur amour et leur sexualité au grand jour : le Castro.
Le Castro est le quartier des réfugiés, des marginaux, mais il n’est pas sûr pour autant pour les hommes qui en aiment d’autres. La police est partout, prête à les passer à tabac à la première occasion, les agresseurs aussi, et les « queers » doivent se promener avec un sifflet autour du cou, pour appeler à l’aide en cas d’agression. L’un d’entre eux est même assassiné, c’est la goutte d’eau pour Harvey, qui ne supporte plus ce climat d’insécurité et la persécution des policiers. Il se lance dans la politique. Comme les Noirs ou les Asiatiques, les Gays ont besoin d’un représentant au pouvoir. Ce sera lui. Avec Scott en directeur de campagne et l’appui de plusieurs habitants du Castro, Harvey se présente pour la première fois en 1973 au poste de Superviseur. Ils perdent les élections à quelques votes près. Idem en 1975 et 1976, alors qu’Harvey est plus près que jamais de se faire élire.
C’est ainsi qu’en 1977 il se lance dans sa dernière campagne, mais pour un poste plus important cette fois : celui de conseiller municipal de la ville de San Francisco. Harvey a gagné en expérience et en popularité, mais il a perdu l’amour de sa vie : Scott, fatigué par cette quête de pouvoir et cette lutte acharnée pour faire valoir leurs droits. Des droits qui devraient être respectés, peu importe sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Sans Scott mais avec une nouvelle directrice de campagne, Anne Kronenberg, une femme qui aime les femmes, Harvey atteint son objectif et se fait élire conseiller municipal. Explosion de joie au Castro, mais les réjouissances seront de courte durée car déjà, Harvey doit faire face à deux autres dangers, en plus des menaces de mort : Anita Bryant et le sénateur républicain John Briggs. En Floride, la chanteuse Anita Bryant milite contre les droits des homosexuels, qu’elle juge malades et considère comme étant une menace pour les familles américaines. Elle reste célèbre pour avoir dit : « Tuer un homosexuel pour l’amour du Christ » ou encore « Si Dieu avait voulu avoir des homosexuels, il aurait créé Adam et Walter ». Des déclarations qui font froid dans le dos… En Californie, Briggs lutte pour faire passer sa sinistre Proposition 6, confondant homosexualité et pédophilie, exigeant que soient immédiatement renvoyés des écoles et lycées les enseignants gay et lesbiens… Deux dangereuses menaces pour les droits de l’Homme.
Aussi, fraichement élu, Harvey devra faire face aux menaces Bryant et Briggs, et collaborer avec un autre conseiller, peu enclin lui aussi au respect des droits des homosexuels : l’Irlandais et ancien policier Dan White. Il passera ainsi les huit dernières années de sa vie à lutter pour des droits égaux pour tous, avec la fin tragique que l’on connait…
Réalisation classique mais efficace
Pour narrer ces huit années de lutte, Gus Van Sant a oublié les cadrages décalés d’Elephant, les longs plans séquences de Last Days et opté pour une mise en scène plus académique à la Will Hunting. Même la forme de son biopic est classique : le personnage principal raconte sa vie dans une série de flash-backs. Aussi, ce qui fait toute l’originalité de ce biopic, c’est son scénario. Dustin Lance Black ne s’est pas contenté de rapporter uniquement les faits politiques liés au combat d’Harvey Milk. Il a su mêler à cela sa vie personnelle, sa difficulté à s’assumer lorsqu’il était à New York, ses amours et échecs sentimentaux, faisant ainsi d’Harvey un personnage attachant, émouvant. Pas seulement un homme politique, un homme tout court, blessé par des années passées dans le placard, brisé par les tentatives de suicide de trois de ses quatre derniers compagnons. Grâce à une réalisation simple et mêlant habilement vie personnelle et carrière politique, fiction et images d’archives (Anita Bryant n’apparaît pas sous les traits d’une actrice mais au travers de vraies déclarations de l’époque), Gus Van Sant fait de « Milk » un film d’autant plus touchant et bouleversant.
Bien évidemment le scénario original de Dustin Lance Black et la réalisation efficace de Gus Van Sant ne font pas tout. « Milk » bénéficie aussi d’un casting impressionnant, composé d’acteurs tout simplement magistraux. L’acteur mexicain Diego Luna, attendrissant dans le rôle de Jack, l’amant paumé, Emile Hirsch (Into The Wild, Les Seigneurs de Dogtown) génialissime et méconnaissable en Cleve Jones, Alison Pill (Coup de Foudre à Rhode Island) bluffante dans la peau d’Anne Kronenberg, Josh Brolin (No Country For Old Men, W) bouleversant dans le rôle du très perturbé Dan White.
Sans oublier LA révélation « Milk » : James Franco. Connu mais pas reconnu pour son interprétation de Harry Osborn dans la trilogie Spiderman, James Franco crève littéralement l’écran dans le rôle du grand amour d’Harvey : Scott Smith. Conscient du potentiel encore inexploité de l’acteur déjà trentenaire, Gus Van Sant fait de lui le personnage qui sert de fil conducteur au récit, celui qui suit l’évolution du politicien, celui qui rend compte de la propagation du mouvement Milk, qui résume la dimension tragique de ce biopic mélo gay. Dans le rôle de Scott, James Franco peut enfin exprimer toute sa sensibilité naguère mal explorée et s’autorise tout : embrasser Sean Penn sur la bouche (plusieurs fois !), plonger dans une piscine intégralement nu, changer de coupe de cheveux, écarquiller les yeux d’éblouissement comme au premier jour, traduire l’amour pour un autre homme dans le regard, rivaliser de sourires tristes, trimballer avec lui une nostalgie et une amertume tenaces. En un mot, il est solaire.
Il se chuchoterait même que, bluffé par sa performance, Sean Penn aurait écrit un scénario pour lui. Affaire à suivre…
Sean Penn : un Oscar mérité
Certains appelleront cela une performance, d’autres parleront de prestation éblouissante, pour ma part, je me contenterai de Miracle. Ce moment où un acteur disparaît derrière son personnage. Pour entrer dans la peau d’Harvey Milk, Sean Penn a effectué un travail que peu d’acteurs auraient pu mettre en œuvre. Il y a le maquillage bien sûr et les costumes, mais pas que. Sean Penn a passé des heures en compagnie de Gus Van Sant à visualiser des vidéos du politicien afin d’entrer au mieux dans la peau de son personnage. Il a épousé sa gestuelle, imité son rire, travaillé son phrasé jusqu’à se laisser envahir totalement par Harvey. La transformation est bluffante. Le jeu de l’acteur époustouflant. Mais là où il nous bluffe encore plus, c’est en dévoilant un Sean Penn amoureux tel qu’on ne l’avait plus vu depuis Accords et Désaccords de Woody Allen il y a 10 ans. Un miracle. Comme seul le 7ème Art peut en produire.
Aussi et au regard de cette prestation, il est logique que l’acteur ait reçu en février dernier, pour la deuxième fois de sa carrière (le premier le récompensait pour sa performance dans le film de Clint Eastwood, Mystic River) l’Oscar du meilleur acteur. Le lien qui l’attache à son personnage et ce pour quoi il luttait y est sûrement pour beaucoup dans sa prestation. L’on sent un profond respect dans le portrait d’Harvey Milk que le réalisateur et l’acteur ont dressé. Et il faudra au spectateur une capacité de résistance peu commune, aux émotions comme aux arguments, pour ne pas ressortir de ce film empli d’admiration, pour le long métrage comme pour son sujet.
2 Comments
Cam
4 juin 2009 at 9:34Ah autant pour moi! J’ai oublié le sourire incroyable!! C’était pas non plus censé être une ode à James Franco!mdr. Quoique…! :D
Je pense aussi qu’il faut que tu le revois, une fois c’est pas assez! ;)
Un film superbe en tout cas, c’est vrai :)
Mathias
3 juin 2009 at 18:01« … Entre deux métros, il croise un jeune homme sublime … » Au sourire incroyable ! :)
Bon et bien ça me donne envi de le voir ! Ah non on l’a déjà vu : ) Alors le voir une nouvelle fois !
Très bien écrit, tous y passe, acteurs, réalisateur, histoire, de jolies clins d’ œil et de références. De quoi comprendre l’importance de ce film !
Un film, un vrai biopic, une réussite, un réel plaisirs, un miracle comme tu dis ! :)