« Elle est une jeune fille de 80 ans qui n’a rien à perdre à tout dire : Les bonheurs et les horreurs, les chagrins jamais enfouis comme les tendresses à fleur de larmes. Elle a traversé le siècle, dont elle a connu tous les tourments et tous les espoirs. » *1
Respect, c’est le terme qui convient le plus à l’évocation de la vie de Simone Veil, une femme admirée car elle a vécut l’horreur et surtout a réussi à s’en sortir, à revenir… Admirée car elle n’a jamais abandonné, elle n’a pas cessé de vivre ni de se battre notamment pour la condition des femmes : « Au camp, nous avions l’habitude de dire : « Ceux qui rentreront, il faudra qu’ils racontent. Mais il faudra aussi qu’ils vivent.Beaucoup l’ont fait. Je l’ai fait. » confie-t-elle dans une interview pour Le Point le 25 octobre dernier *2. Simone Veil reste aujourd’hui l’une des personnalités préférées des français, une femme de coeur et de courage. Et puis surtout, elle permet de ne pas oublier, elle reste un témoin du poids du passé mais également de l’avenir des femmes à l’évocation de la Loi Veil du 17 janvier 1975.
*1 Entretien avec Simone Veil Par Agathe Logeart sur Bibliobs.com
*2 Les confessions de Simone Veil d’Hervé Gattegno et François Dufay sur LePoint.fr
Simone Jacob est née le 13 juillet 1927 à Nice. Sa famille était doublement d’origine juive, ainsi que laïque et républicaine, établie en France depuis le 17ème siècle en Lorraine d’un côté et depuis le 19ème siècle à Paris. Bien que modeste, sa famille était heureuse et studieuse, aux nombreux enfants.. Simone est la cadette des six enfants. Son père, André Jacob, était architecte et sa mère, Yvonne Steinmetz Jacob, mère au foyer. Yvonne s’occupe entièrement de ses enfants mais également d’autres dont les parents sont en difficulté financière après la crise des années 1930. Elle définit le « profil social et culturel » de sa famille : « des Juifs non religieux, profondément cultivés, amoureux de la France, redevables envers elle de leur intégration. » dans son autobiographie « Une Vie »*.
* Simone Veil, Une Vie, stock, 2007
L’enfer des camps
Après la déclaration de guerre, les enfants Jacob seront cachés à Toulouse mais finalement toute la famille sera d’abord arrêtée le 29 mars 1943 puis déportée le 7 avril 1943 au camp de Drancy, puis un an plus tard à Auschwitz Birkenau (sous le matricule 78651). Elle a raconté à plusieurs reprises les humiliations, les souffrances, les odeurs etc. qui resteront gravées dans son esprit : « Quand on est arrivées à Birkenau — ma mère, ma soeur Milou et moi —,on était comme du bétail. On vous tâtait, on vous regardait, on vous tripotait avec des commentaires sur les unes et les autres —depuis, je ne supporte plus une certaine promiscuité physique—, on avait faim, on avait soif et, pour ma part, j’ai terriblement souffert du manque de sommeil… Le tatouage arrive tout au début du processus. On coupait les cheveux et ensuite on tatouait. Ça donnait le sentiment de quelque chose de définitif, c’était une condamnation à perpétuité… Le camp, c’était une odeur atroce en permanence, du fait des crématoires, des corps qui brûlaient sans arrêt, une fumée qui faisait que le ciel n’était jamais clair… »
Simone n’avait alors que 16 ans et demi lorsque ces visions cauchemardesques devinrent son quotidien. Dans plusieurs interviews et récits elle raconte comment être une femme lui a sauvé la vie dans ce contexte pourtant si défavorable : » La chef du camp, qui était polonaise et parlait un peu le français, m’a sortie du lot. Elle me disait : « Tu es trop jolie pour mourir ici. Je vais te trouver quelque chose pour que tu puisses survivre. » J’ai dit que je ne partirais qu’avec ma mère et ma soeur, car il n’était pas question que nous nous séparions. Elle nous a envoyées quelques jours plus tard travailler à Bobrek, dans une petite usine Siemens à la discipline assez relâchée : j’y suis restée de juillet 44 à janvier 45. Elle m’a ensuite fait affecter à la cuisine des SS où je pouvais voler un peu de nourriture pour ma mère et ma soeur… »*3. Sa mère mourut quelques temps après du typhus à Bergen-Belsen, sa soeur Madeleine s’en sortit in extremis. Après la libération, le plus difficile sera de vivre à nouveau…
*3 http://programmes.france3.fr/evenements/1945_2005/7664967-fr.php
Une carrière professionnelle brillante
Ayant obtenue son baccalauréat avant d’être déportée en 1943, Simone décide de continuer ses études. Elle s’inscrit en 1945 à la faculté de droit et à l’Institut d’études politiques de l’Université de Paris. Elle y rencontre Antoine Veil, futur inspecteur des finances et futur collaborateur de Michel Debré et membre fondateur du Centre démocrate, qu’elle épouse le 26 octobre 1946 et avec qui elle aura trois fils. Ayant obtenu une licence et son diplôme de l’I.E.P., elle renonce à la carrière d’avocat qu’elle avait envisagée pour entrer dans la magistrature où elle mène une carrière brillante jusqu’en mai 1974. Femme de caractère, elle s’impose dans cet univers très masculin, ce qui la prépare certainement à son entrée en politique.
Une crédibilité politique et la loi Veil…
En 1969, elle entre en politique en rejoignant le cabinet de René Pleven, Garde des Sceaux. Mais sa véritable carrière politique démarre au début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing ; ayant décidé de féminiser son gouvernement, il l’appelle au ministère de la Santé. Elle prend cette charge très à coeur et va porter sur ses épaules la volonté du président de légaliser l’avortement par le biais de l’IVG (l’interruption volontaire de grossesse). C’est par elle que va passer la plus symbolique des lois, laissant aux femmes le soin de disposer de leur propre corps… Elles, qui durant des siècles ont appartenu à leur père puis à leur mari. Le jour où le projet de cette loi est présenté, c’est une révolution qui enfin permettrait aux femmes de disposer d’elles-mêmes. C’est ainsi qu’aux termes de débats houleux et grâce notamment aux voix de la gauche(284 voix contre 189), Simone Veil libéralise l’accès à la contraception et s’illustre en faisant voter en 1975 la loi portant son nom sur l’interruption volontaire de grossesse. Elle confie le combat que cela fut dans l’hémicycle aux journalistes Hervé Gattegno et François Dufay du Point : « C’était une volonté de Valéry Giscard d’Estaing, au risque de heurter sa majorité. Mais j’ai porté ce combat et j’y ai apposé ma marque : le choix de faire de l’avortement un droit de la femme plutôt qu’une possibilité offerte dans certains cas très précis. – La gauche vous a plus aidée que la droite à faire passer la loi… – J’avais besoin de toutes les voix socialistes et communistes, car je savais qu’une partie de la majorité (RPR et UDF) ne voterait pas le texte. Les débats ont été épuisants, moralement et physiquement. J’ai dû affronter des attaques particulièrement haineuses jusque dans l’hémicycle. Un député est allé jusqu’à évoquer l’envoi des foetus au four crématoire ! Mais j’ai reçu le soutien de personnalités comme Michel Poniatowski, Bernard Pons – qui a raconté son expérience des avortements clandestins comme médecin de campagne – ou Eugène Claudius-Petit, qui était un peu la conscience du Parlement, et dont l’appui a pesé sur le vote des catholiques. Les députés de droite ont finalement voté en plus grand nombre que ce que Giscard et moi attendions. Le fait que les débats parlementaires étaient télévisés a sans doute joué aussi. L’opinion était globalement favorable à la loi. »*
Il faut rappeler qu’avant cela, des centaines d’avortements étaient pratiqués secrètement, il s’agissait d’une véritable boucherie pour la plupart du temps, de nombreuses femmes en sont mortes. La pilule contraceptive inventée en 1960 par l’américain Grégory Pincus, restait en France tabou bien qu’une loi l’ait légalisée en 1967 (En France en 1920, pour redresser la démographie, une loi a interdit toute propagande anticonceptionnelle, on surnomme cette loi la loi des « pères -lapin ». Ce n’est qu’en 1967 que la loi du député Lucien Neuwirth légalisera la contraception). Enfin, il faut ajouter, dans ce contexte, cet acte symbolique de 343 femmes, dont des femmes connues comme Jeanne Moreau par exemple, qui ont déclaré avoir déjà avorté, dans un manifeste publié par le Nouvel Observateur le 5 avril 1971.
Ainsi, la loi Veil, bien que difficilement acceptée au début, est certainement l’acte le plus important de ce siècle en faveur de la condition féminine en ce qui concerne la France, bien que la route soit encore longue. Après ces moments intenses, elle continua son parcours politique notamment sous le mandat d’Edouard Balladur où elle fut nommée ministre d’État, ministre des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville (1993-1995). Elle eût ensuite d’autres titres importants en devenant membre du Haut Conseil à l’intégration et du Conseil constitutionnel en mars 1998.
* Les confessions de Simone Veil d’Hervé Gattegno et François Dufay sur LePoint.fr
En route vers l’Europe…
Ardente militante européenne, elle quitte ses responsabilités gouvernementales et conduit la liste UDF aux premières élections européennes de 1979 à la demande de Giscard d’Estaing. Elue député, elle devient la première femme présidente du Parlement européen (1979-1982).
Pendant trois ans, cette Européenne de longue date s’est attelée à réformer le fonctionnement de l’UE : budget, vote, diplomatie, Simone Veil a su prévoir les grandes épreuves que devraient traverser l’Union Européenne. « …sur le plan diplomatique, l’Europe a plus que jamais besoin d’unité face aux tensions internationales qui se produisent, et la crise irakienne a tragiquement montré combien il lui était toujours difficile de parler d’une seule voix, et donc de se faire entendre. » Le vieux continent a, il est vrai, connu bien pire. Deux guerres meurtrières, un mur qui l’a divisé : l’avenir n’est pas aussi noir que certains le répètent. Car « c’est ici [en Europe], où le mal absolu a été perpétré, que la volonté doit renaître d’un monde fraternel, d’un monde fondé sur le respect de l’homme et de sa dignité. »*
Plus récemment, Simone Veil s’est proclamée en faveur du « Oui » à la Constitution Européenne et quand on lui demande pour un reportage sur France 3 sur sa personne ce qu’aurait pensé sa famille morte dans les camps de son action en faveur de l’Europe, elle répond : »Quand j’ai été élue présidente du Parlement européen, l’aspect symbolique — une ancienne déportée présidant cette assemblée — a été très important. Je ne sais pas ce que mon père en aurait pensé, car il était resté très anti-allemand, ou même s’il aurait été favorable à l’Europe. Mais je suis sûre que maman aurait souhaité cette réconciliation, et que j’y participe l’aurait rendue très heureuse ! »
Ainsi, Simone Veil, reste une personnalité très populaire bien que son engagement récent en faveur de Nicolas Sarkozy lui ai valut quelques critiques à l’image de cette caricature :
Malgré cela, elle inspire toujours le respect, pour son parcours, sa vie, ses engagements…Simone Veil reste à jamais liée à des événements importants de l’Histoire tels que la Shoah, elle est d’ailleurs présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, ou la dépénalisation de l’avortement qui lui vaut toujours quelques détracteurs. Simone Veil est une partie de notre Histoire à elle toute seule, l’Histoire et une histoire personnelle dont elle témoigne toujours avec autant d’émotion « On me demande souvent ce qui m’a animée, ce qui m’a donné cette volonté : je crois profondément que c’est elle. Maman n’a jamais cessé d’être présente auprès de moi… »*
* http://programmes.france3.fr/evenements/1945_2005/7664967-fr.php
Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Simone_Veil
http://programmes.france3.fr/evenements/1945_2005/7664967-fr.php
http://www.lepoint.fr/actualites-societe/les-confessions-de-simone-veil/920/0/207159
Une Vie, de Simone Veil, Stock, 2007 .
Liens utiles :
http://www.ancic.asso.fr/historique.html
http://bok.net/pajol/manif343.html
http://www.linternaute.com/savoir/video/IVG.shtml
Bibliographie :
Coup de coeur :
« Une vie », de Simone Veil chez Stock, le 31 octobre 2007
A lire absolument si cette personnalité hors du commun vous intéresse, une autobiographie qui ne cache rien et permet de comprendre beaucoup de choses.
« Simone Veil accepte de se raconter à la première personne. Personnage au destin exceptionnel, elle est la femme politique dont la légitimité est la moins contestée en France et à l’étranger ; son autobiographie est attendue depuis longtemps. Elle s’y montre telle qu’elle est : libre, véhémente, sereine. »
Les hommes aussi s’en souviennent : Discours du 26 novembre 1974 suivi d’un entretien avec Annick Cojean, Stock, 2004.
« Ce livre présente le discours prononcé par S. Veil le 26 novembre 1974 lorsqu’elle a défendu son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse devant l’Assemblée nationale, qui modifie profondément la loi répressive de 1920. Elle revient dans un entretient avec A. Cojean sur le contexte houleux dans lequel se sont ensuite déroulés les débats. »
Histoire De La Contraception De L’antiquité À Nos Jours, Mclaren, Angus, Agnès Vienot Editions, 1996 .
« Contrôler les naissances n’est pas le privilège des sociétés modernes contemporaines. Déjà les Grecs anciens attachaient une importance toute particulière au contrôle de la fécondité, qui devait assurer la pérennité du système familial. De nombreuses tisanes étaient conseillées pour leur vertu contraceptive (écorce d’aubépine, feuille de lierre, de saule, de peuplier), ainsi que diverses méthodes de contraception mécanique (gomme de cèdre, suppositoire à la menthe poivrée et au miel). Des recettes des Grecs anciens à la pilule des années 70, en passant par l’avortement qui demeura longtemps le premier moyen de contraception, Angus McLaren analyse les changements d’attitude envers la limitation des naissances en les replaçant dans leur contexte culturel. Il montre que toutes les sociétés humaines ont cherché, à un moment ou à un autre, à limiter le nombre de leurs enfants. »
Filmographie
Coup de coeur :
Victoire ou la douleur des femmes (2000)
Un film de Nadine Trintignant avec Marie Trintignant, Marina Vlady, Sabine Haudepin
Téléfilm diffusés sur France 2 il y a de cela plusieurs années maintenant, et pourtant encré dans les esprits. Poignant et si réaliste, cette fresque féminine montre à quel point la Loi Veil était une révolution et que jusque là les femmes ont dû se battre ardemment pour disposer de leurs corps au point de bien souvent y laisser la vie. C’est également l’occasion de revoir la talentueuse Marie Trintignant.
« Victoire ou la douleur des femmes, est le récit romanesque du combat des femmes pour leur droit à disposer d’elles-mêmes et de leur corps, de la fin des années 30 au milieu des années 70. Ces générations de femmes se sont battues avec ténacité pour que la maternité devienne un choix et non une fatalité. »
* Cahier de vacances 2010 – Article initialement publié le 18 février 2008
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