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Festival BD d’Angoulême 2010 – Jour 3

Pour notre troisième jour à Angoulême, voici réunis des univers totalement différents. Une pincée de manga, un peu de Russie, un détective un peu gaffeur et surtout attachant et un jeune auteur que nous aimons beaucoup.

Commençons donc par la visite du Manga Building. Depuis trois ans, ce bâtiment est dédié à la bande dessinée asiatique, avec une expo au sous-sol mettant en valeur le travail d’un mangaka. Cette année, l’honneur en revient à Eiichirô Oda, pour sa série One Piece. Un manga destiné aux garçons (dans le jargon, on appelle ça un shonen), qui raconte des histoires loufoques de pirates, sur une planète imaginaire. Pour nous mettre dans l’ambiance, la scénographie de l’exposition est léchée. Une affiche de cinéma nous accueille à l’entrée, nous prouvant que, contrairement à une idée reçue, Johnny Depp n’est pas le seul acteur à avoir incarné un capitaine dans Pirates des Caraïbes.

La suite de la visite nous présente diverses planches, fac-similés des originaux alors que, culture japonaise oblige, un espace wii rencontrait un certain succès auprès du jeune public.

Autre exposition, dans un tout autre genre, celle dédiée à la BD russe. Plus « Arte » dans l’âme, celle-ci nous fait découvrir les productions d’un pays pas franchement réputé pour la bande dessinée. Et pour cause, ce genre d’expression littéraire n’existait quasiment pas sous le communisme.

On y découvre des choses des plus surprenantes, allant d’histoires d’extraterrestres croisant un Spoutnik sur leur chemin à des bandes érotiques, créées à partir de… personnages en pâte à modeler. Rafraîchissant !

Après ces visites de la journée, il est temps de passer à nos rencontres. Tout d’abord, Vincent Gravé. Si son nom est peut-être moins connu que ceux que nous avons croisés jusque-là, il rappellera peut-être quelque chose à nos lectrices les plus assidues. En effet, nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises de parler de l’album concept de Boulbar, Requiem pour un Champion. Ce projet ne consiste pas simplement en un album CD, puisqu’il s’accompagne d’une bande dessinée (paru aux éditions Les Enfants Rouges), dont Vincent Gravé est l’auteur. Et ce qu’on peut dire de cette BD, c’est qu’elle est aussi réussie que l’album et que son ambiance est aussi pénétrante que celle du concert illustré, ce qui n’est pas peu dire. Vincent Gravé joue comme personne avec les lumières pour recréer l’ambiance de l’histoire de Jack Ranieri. Une preuve s’il en fallait : la dédicace qu’il nous a réalisée à une vitesse hallucinante. Place maintenant aux questions et, surtout, aux réponses de Vincent.

Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Boulbar ?

Il a lu mon album Petites Coupures (un polar qui a gagné le prix Cognac One Shot en 2009) et il a trouvé que ses influences musicales correspondaient aux ambiances qu’il y avait dans mon album. De son côté, il venait de signer avec Roy Music pour réenregistrer son album concept qu’il avait autoproduit. On a voulu faire un CD et une BD qui soient complémentaires. Qu’on puisse avoir l’un sans l’autre mais que les deux se réunissent tout de même.

Comment as-tu appréhendé cette histoire ? Elle t’a directement inspiré une ambiance, des images ?

Tout est parti de la musique. Et il y avait cette ambiance, du San Francisco des années 1970, avec cet imaginaire un peu psychédélique, que je voulais réintégrer picturalement. Ensuite, j’ai voulu faire évoluer le noir et blanc selon l’époque, notamment avec les jeux de lumières. La particularité de cette histoire, c’est qu’elle se déroule sur toute une vie. Et l’époque à laquelle Jack fait son hold-up et celle à laquelle il sort de prison sont bien différentes. Un des détails qui signe cette différence, c’est le bar. Le même bar d’où il appelle Lisa après son casse et où il va après sa sortie de prison. Entre temps, le bar a gagné des néons. C’est avec ce genre de choses que j’ai voulu jouer.

Une fois la décision prise de lancer ce projet, comment s’est passée votre collaboration, avec Boulbar ?

J’ai d’abord proposé un découpage. J’aime bien avancer pas mal les choses avant de montrer le résultat. Puis ensuite, ça a été une séance de ping-pong avec Boulbar, qui validait avec ce qu’il retenait de son voyage. Et il m’a dit que le San Francisco des années 1970 ressemblait exactement à cela ! Le tout était de rentrer dans cet nuivers fort.

Boulbar nous a dit que ton style correspondait à l’ambiance de cette histoire. Comment vois-tu cela ? Qu’est-ce qui a fait que votre travail commun a collé ?

C’est la rencontre de deux univers. Il y a toujours un risque, quand quelqu’un vous contacte à propos d’un album, qu’il veuille que vous refassiez la même chose. Mais ça, ça n’a pas d’intérêt, autant prendre une photocopieuse.

Peux-tu nous parler de la mise en place du scénario ? Notamment de cet épisode du hold-up, qui est éludé dans le CD ?

Je m’étais toujours dit que si je faisais un polar, je m’intéresserais à cet instant d’avant. Le principal de l’histoire de Requiem pour un Champion se déroule sur un temps assez rétréci, mais où intervient le point où la balance bascule, où Jack saute le pas. Ca m’a toujours fasciné, ces gens qui misent tout sur un jour J. Comme les sprinters, où quelques secondes ont une importance capitale dans leur vie. Comme les boxeurs aussi.

Comment as-tu mis un visage sur les personnages de Jack et Lisa ?

Ce sont avant tout des stéréotypes, plus que des personnages. Lisa est la pin-up, celle qu’on croise uniquement dans les polars. Quant à Jack, c’est un boxeur qui regroupe en lui tous les boxeurs. Ca a d’ailleurs été intéressant de le faire vieillir, puisque la boxe a totalement changé entre son entrée et sa sortie de prison. Il est né dans les années 1930/40, où la boxe avait une signification sociale, c’était alors un sport par lequel quelqu’un issu d’un milieu modeste pouvait sortir du lot. Alors que dans les années 1990, quand il sort, c’est tout l’inverse. Un match fait quatre lignes dans les journaux.

Tu avais déjà abordé le thème de la boxe dans « Petites Coupures ». C’est un sujet qui te passionne ?

J’avais fait ma thèse de diplôme d’art sur la boxe. En dessin, c’est très particulier. C’est comme dessiner des chevaux, il faut capter la rapidité du mouvement. Ensuite, c’est tout une ambiance, avec des lumières particulières. Et puis ce sont des rencontres fortes. Je garde toujours une certaine tension dans le dessin, quand je dessine avec mon carnet dans les vestiaires des boxeurs.

Comment les concerts illustrés ont-ils été conçus ? Qui a choisi les dessins, la scénographie, etc. ?

Tout a été conçu en amont. On s’est limité à un album de 80 pages pour pouvoir vendre le CD et la BD ensemble à 16,50€. Ensuite, on a voulu laisser une trace de la BD dans les concerts, avec ces projections d’images. Et on est en train de travailler sur une adaptation pour i Phone, on a eu rendez-vous justement pendant le festival pour signer tout cela. On a encore en projet des forums Fnac, où Boulbar jouerait pendant que je dessine.

Quels sont tes projets à venir ?

Pour la suite, j’ai deux albums en préparation. Un avec Eric Liberge, sur Camille Claudel, aux éditions Glénat et un aux éditions avenir avec Gilles Clément, qui s’appellera le Paysagiste. Dans les deux cas, ce sont des sujets qui viennent de l’intérieur. Gamin, j’ai vécu près d’un endroit où Camille Claudel venait souvent peindre. Quant au Paysagiste, c’est une relation à la terre.

Autre rencontre, autre univers totalement différent. Notre deuxième rendez-vous de la journée avait pour nom Alain Dodier, l’auteur de Jérôme K Jérôme Bloche. Ce jeune détective un brin gaffeur, distrait (que ferait-il sans sa copine Babette ?) et gros dormeur se révèle comme un antihéros des plus attachants. Déni de Fuite, le tome 21 de la série (paru chez Dupuis), est en compétition dans la sélection officielle. D’ailleurs, on vous en parlait hier, il est parmi nos préférés. Voici maintenant l’interview d’Alain Dodier.

Le dernier album de Jérôme K Jérôme Bloche est dans la sélection officielle. Quel effet cela fait-il ?

Ca fait plaisir. Mais en même temps, je crois que je n’ai pas trop conscience de ça… Et puis combien il y a d’album en compétition ? Si je remporte un prix, il faudra en reparler. Sinon, c’est comme les films qui sont vingt fois nominés !

Revenons en arrière. Comment est n é ce personnage ? Enfin, ces personnages, puisque Babette semble indissociable.

J’avais envie de raconter des histoires du quotidien. Je n’avais pas envie de faire quelque chose « sur les traces de ». Il y en a qui font du western vachement bien, pareil pour la science fiction. Je voulais un personnage proche de moi, pas un rôle de composition. J’ai voulu faire une BD comme un film à petit budget où les figurants sont des membres de la famille. Quelque chose d’authentique.

Comment Babette, Jérôme et tout leur entourage ont-ils évolué au fil des albums ?

Au départ, quand le personnage de Jérôme est né, j’avais envie de trancher avec le passé. C’était dans les années 1980 et j’ai imaginé un personnage normal, avec un métier qui pouvait lui rapporter de l’argent, même s’il n’en gagnait pas beaucoup. Un homme normal, avec une vie affective et donc une fiancée. Je voulais changer des éternels fiancés qu’on avait alors l’habitude de voir. Même s’il est un peu en marge, il a une vie normale, et les autres personnages sont venus par nécessité, au fil des histoires. Et quand un voisin apparaît, comme Madame Zelada ou Burhan, l’épicier, il n’y a pas de raison qu’il disparaisse à l’album suivant. Donc il reste !

A chaque nouvel album, comment se passe la constitution du scénario ? Qu’est-ce qui doit ressortir en priorité à la lecture d’une enquête de Jérôme ?

Mon cahier des charges est que Jérôme doit être là à toutes les pages. C’est un exercice assez difficile, mais il faut ça pour avoir un récit linéaire. Quand Jérôme arrive, le lecteur ne le quitte plus. Et je ne montre jamais au lecteur quelque chose que Jérôme ne connaît pas. Et pour la constitution d’une histoire, il y a 2 mois de recherches intenses en amont.

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1 Comment

  • Reply
    Tamagochan
    31 janvier 2010 at 8:46

    Vraiment sublime la dédicace de Vincent Gravé…

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