Dans les fossés de Vincennes
Quand fleurissait la verveine
Au petit jour, les yeux bandés,
Au poteau l’espionne est placée
Et celle qu’on va fusiller
C’est elle ! C’est sa bien-aimée !
Fermant les yeux pour ne pas voir
Il cria : » Feu ! » C’était son devoir !
Dans les fossés de Vincennes
Le soleil se lève à peine
Sous les murs du fort
A passé la mort.
Et l’espionne a subi sa peine !
Et lui, brisé par l’effort,
Le cœur pris de folie soudaine
Eclate d’un grand rire alors
Dans les fossés de Vincennes !
Cette chanson écrite par Cami, chantée par Georgel et fredonnée par toutes les lèvres à l’automne de 1917 tait le nom de son inspiratrice et pourtant on comprend qu’il s’agit de la fin tragique de la belle surnommée Mata Hari. Ce nom tout le monde le connaît plus ou moins, il sonne comme familier à nos oreilles et cependant rares sont les personnes à connaître l’histoire de cette femme devenue une légende.
Les origines
Margaret Zelle est née à Leeuwarden (Pays-Bas) le 7 août 1876, d’Adam Zelle, un marchand de casquettes hollandais et de Antje van der Meulen, une javanaise, ce qui lui donna un teint basané, rare à l’époque. Issue d’une famille plutôt pauvre, elle cherche longtemps sa voie avant d’épouser à l’âge de 18 ans un officier de la marine néerlandaise, Rudolf MacLeod, avec qui elle part vivre aux Indes néerlandaises (où l’un de ses deux enfants est empoisonné par une servante en 1899). Femme au tempérament indépendant, elle se sépare bien vite de son mari et arrive à Paris en 1903. C’est à partir de 1905 qu’elle triomphe dans un numéro de danseuse érotique exotique, avec un corps sculptural sous le nom de Mata Hari, signifiantl’œil du jour en malais.
Danseuse exotique renommée
Couronnée d’aigrettes et de plumes, elle s’exhibe dans les salons et se consacre à la faune admirative et convertit à l’orientalisme. Quand elle se décide à monter sur scène elle connaît un succès foudroyant qui l’amène dans différentes capitales européennes bien qu’en réalité elle ne sache pas réellement danser. Elle crée autour de sa personne une légende relayée par les « échotiers » de l’époque : elle serait née à Java où les prêtres de Shiva l’auraient initiée aux secrets du culte et des danses de la déesse. Il ne faut pas le nier, elle est aussi une courtisane qui se préoccupe trop peu de la nationalité de ses conquêtes, ce qui lui jouera des tours. C’est donc une personnalité flamboyante qui s’invente un personnage et une histoire.
L’espionne
Après le début de la Première Guerre Mondiale, Mata Hari qui parle plusieurs langues et vient d’un pays neutre peut se permettre de voyager librement à travers l’Europe. On dit d’elle qu’elle mène une vie luxueuse malgré la guerre… C’est le 2 septembre 1916 que, procédant à des démarches pour un laissez-passer à destination de Vittel afin de rejoindre son amant blessé, le lieutenant Maslov, elle fait la rencontre du capitaine Ladoux, chef des services du contre-espionnage. Elle obtiendra ce laissez-passer contre la promesse d’aller espionner le Kronprinz (le prince héritier de l’Empire allemand) qui est de ses connaissances, moyennant une rétribution considérable (qu’elle n’aura jamais). L’Intelligence Service (les services secrets britanniques) met la main sur elle lors d’une escale à Falmouth mais ne peut rien lui reprocher malgré un interrogatoire serré. Poursuivre sa route vers l’Allemagne devenant hasardeux, l’aventurière regagne Madrid où elle ne tarde pas à séduire… l’attaché militaire allemand, le major Kalle. Celui-ci transmet plusieurs câbles à Berlin traitant de sous-marins à destination du Maroc et de manœuvres en coulisse pour établir le prince héritier Georges sur le trône de Grèce, en signalant que « l’agent H-21 s’était rendu utile ». Ces messages sont interceptés par les Alliés. Cet agent serait Mata Hari…L’envoûtante « Eurasienne » fait alors la folie de rentrer en France pour rejoindre son bel officier. Arrivée à Paris le 4 janvier 1917, elle est arrêtée le 13 février. Elle sort nue de la salle de bain et, s’étant rhabillée, présente aux gardes venus l’arrêter des chocolats dans… un casque allemand (cadeau de son amant Maslov).
Coupable idéale…
L’exécution de Mata Hari
Accusée d’espionnage au profit de l’Allemagne, Mata Hari passe du statut d’idole à celui de coupable idéale dans une France traumatisée par la guerre. Son avocat (un ex amant) n’eut le droit d’assister qu’aux premiers et derniers interrogatoires. Le procès ne dure qu’une journée sans apporter de nouveaux éléments. Condamnée à mort, elle est fusillée le 15 octobre 1917, à l’âge de 41 ans, dans les fossés de la forteresse de Vincennes. Selon la légende, elle aurait refusé le bandeau qu’on lui proposait et aurait lancé un dernier baiser aux soldats du peloton d’exécution et à son avocat. Sa famille ne réclama pas le corps, qui fut confié au département d’anatomie de la faculté de médecine de Paris pour des recherches médicales. Selon la magasine littéraire Céline « Les juges de Mata Hari, une femme ayant des rapports intimes avec des officiers de toutes nationalités ne pouvait le faire que dans le but d’exercer une action occulte, malfaisante et considérable. Ils n’imaginèrent pas que ces courses d’un palace à l’autre provenaient du fait qu’elle était discrètement expulsée, ne pouvant payer la note, que son désir de se rendre intéressante auprès d’officiers qui l’avaient aimée était dicté par l’angoisse de la vieillesse proche, qu’en traversant et retraversant les frontières, elle cherchait désespérément un homme qui voulût bien l’épouser. Tenant pour vrais les mensonges d’une strip-teaseuse, ils succombèrent eux aussi à sa romance avant de l’interrompre de façon tragique. » Et pourquoi est-elle morte en réalité ? Pour rien ou presque : des secrets de polichinelle. Ainsi, ce fut la fin de la romance que Mata Hari s’était inventée pour se complaire mais également le décollage de l’un des mythes fortunés de l’imagination moderne : celui de la femme espionne, version revue et corrigée de la mante religieuse !
Renaissance d’un mythe
Près de cent ans plus tard, les archives du procès n’ont toujours pas été rendues publiques et l’on peut craindre que le dossier à charge ne soit tout à fait creux. Quoi qu’il en soit, le personnage est entré dans la légende et Greta Garbo, Marlène Dietrich, Jeanne Moreau, Sylvia Kristel… et Maruschka Detmers lui ont depuis prêté leur personnalité à la scène, à l’écran ou à la télévision.
Il faut bien convenir que le mythe de la Belle disposée à trahir sur l’oreiller est aussi vieux que le monde. Selon les récits et les mythes antiques : Dalila trahit Samson au VIIIe siècle avant JC et Tarpeia ouvrit les portes du Capitole aux Sabins au VIe siècle avant JC par exemple…
D’autres noms résonnent aujourd’hui mais pas de façon aussi puissante que celui de la mystérieuse Mata Hari. En effet, si celle-ci a donné son nom au mata-harisme, imposture romanesque fondée sur une conjonction dramatisée de l’exotisme et de l’érotisme, elle n’en fut pas l’instigatrice. Ainsi Madame Etta Palm (née en 1743 aux Pays-Bas), agent triple voire quadruple, a espionné la France pour le compte de la Prusse, les Pays-Bas et l’Angleterre pour celui de la France, a servi tour à tour la monarchie française et la Convention, soutenu les patriotes néerlandais avant de se ranger aux côtés de leurs adversaires, tout en trafiquant ses charmes sous le couvert d’une activité mondaine et salonnière. En second lieu, il faut évoquer Fraulein Doktor : Mademoiselle Docteur, qui est l’une des personnalités les plus curieuses de l’espionnage féminin. Etudiante en médecine, elle aurait parcouru le Front déguisée en infirmière pour arracher aux blessés et aux mourants des renseignements sur l’emplacement des troupes. Sans oublier Marthe Richard, Edith Cavell, Anne-Marie Lesser ou Magda de Fontages… Toutes ces femmes sont entrées dans l’histoire , parfois de façon assez mystérieuse puisque leur existence n’est pas toujours attestée. Mais si le personnage de la femme espionne a peu inspiré les romanciers, il a beaucoup occupé, obsédé même, les historiens, observateurs de l’actualité de l’espionnage. Ils ont accordé au mystère de la femme espionne nourri d’érotisme et d’imposture une grande importance au point qu’à l’heure actuelle notre imaginaire s’alimente toujours à l’idée de ces femmes espionnes à l’image du projet de l’éditeur allemand DTP qui a dévoilé en août dernier un nouveau point & click, baptisé Mata Hari, centré autour de la fameuse espionne, le jeu permet de se plonger dans la haute société de la Belle Epoque, au début du XX ème siècle, et de vivre quelques-unes des intrigues en jeu à l’aube de la Première Guerre mondiale.
Bibliographie et filmographie
« Mata Hari. Songes et mensonges » de Fred Kupferman
« Fausse danseuse orientale apparue dans le ciel du Paris mondain de 1904, espionne naviguant entre le services secrets de l’Allemagne et de la France en guerre, Mata Hari, mythomane inspirée, rayonne dans l’imaginaire de notre siècle.
La Hollandaise Margaretha Zelle a été l’impresario de sa propre vie, inventant un personnage a deux faces, Lady Mac Leod et Mata Hari, avant de choisir sa dernière incarnation : H 2, espionne du Kaiser et du deuxième Bureau. Symbole d’un Orient érotique fantasmatique, elle est un moment la femme de la plus célèbre d’Europe, mais sa gloire s’éteint avec la Belle Epoque. Par sa mort tragique, elle accède à une bizarre immortalité, et son double rôle de danseuse-espionne lui vaut une place de choix dans la littérature d’espionnage et sur les écrans.
Mata Hari, » la danseuse rouge « , est accolée à des personnages réels, comme Marthe Richard, autre agent double, et à des êtres fantomatiques, comme » Fraulein Doktor » patronne supposée de l’espionnage allemand pendant la Grande Guerre. Le mythe de Mata Hari fascine à plus d’un titre. Elle a représenté une certaine image de la femme, courtisane futile devenant la Salomé de la trahison, et que l’on fusille au vu d’un dossier presque vide. »
« Mata Hari », un film de George Fitzmaurice (1931)
Acteurs : Greta Garbo, Ramon Novarro, Lionel Barrymore…
« Danseuse exotique à Paris, Mata Hari est aussi une espionne à la solde de l’Allemagne. Sa mission est d’intercepter certains messages des Russes. C’est le lieutenant Rosanoff qui les détient. Prise à son propre piège, Mata Hari tombe amoureuse du bel officier. Loin de la vérité historique, le scénario est un prétexte. La ‘divine’ nous envoûte par sa beauté, sa sensualité et son mystère. Un superbe mélodrame… »
« Mata Hari, agent H21 », un film de Jean-Louis Richard (1964)
Acteurs : Claude Rich, Jean-Louis Trintignant, Jeanne Moreau (Mata Hari)…
« Paris 1917 : on ne parle que de cette guerre qui ne veut pas finir, des civils qui ne peuvent pas comprendre, des embusqués qui mènent la belle vie. Partout règne le découragement et avec lui la peur et sa conséquence : l’espionnite. Dans un music-hall parisien se produit une superbe danseuse d’origine javanaise, Mata Hari dont le nom signifie « Fille du soleil ». Ses danses orientales, plus suggestives que sacrées, lui valent d’être très en vogue. Les salons parisiens se disputent Mata Hari, admirateurs civils et surtout militaires se multiplient. Cette femme, à la fois courtisane et espionne, nous semble tantôt pure et tantôt rouée, enfantine et diabolique, fragile et dangereuse, amoureuse et intrigante… «
2 Comments
isabelle
7 octobre 2017 at 22:41Mata Hari, un nom evocateur et qui incarne tres bien la puissance de l’Imaginaire et de la place de l’Orient dans la Culture occidentale..Un imaginaire tellement fort qu’il finit eclipser la Realite , et meme abuser un erudit comme Emile Guimet, pourtant fondateur du Musee des arts Asiatiques de Paris…..en effet, peu de personne se sont alors aperçues ou ont fait l’effort de creuser pour savoir si les danses etaient d’authentiques danses « javanaises »….ou si elles etaient la uniquement pour exciter une epoque prude.Mais qu’importe, pourvu qu’on se rince l’oeil et tant pis ce succes repose sur des mensonges(!)!!! …. son heritage concernant la vision de l’Orient n’est pas uniquement positif ( comme tant d’autres personnages historiques comme Pierre Loti par exemple), car il contribué a construire un imaginaire dans lequel exotisme et erotisme font bon menage …..
amzervad
6 octobre 2010 at 9:34Difficile de se replacer dans le contexte de l’ époque, mais le dossier est toujours fermé, par contre si elle fût ce dont on l’ accuse, je peine à croire que les renseignements qu’ elle aurait fournis étaient d’ importance capitale.
Elle « fréquentait » un peu tout le monde, on a essayé de l’ utiliser lui faisant jouer un rôle qui devait servir certains. Mais était-ce une véritable espionne ?
Certes elle dérangeait, mais sans doute pas plus que certaines malheureuses à qui l’ on s’ est contenté de couper les cheveux pour collaboration à la libération.
Autre temps, autres moeurs.